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Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/226

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183. 249
[113r]


Quand j’ai lu cette alternative qui s’opposoit directement à ce que j’avois écrit, car les parties se croisoient, je me suis determiné à abandonner cette affaire. Mais ce qui me poussa à m’en debarasser bien vite furent quatre mots que le comte Wagensberg me dit. Il me fit comprendre qu’il savoit que je voulois reconcilier les moines avec leur abbé, et que cela lui fesoit de la peine, car je ne pouvois reussir qu’en fesant du mal au païs dans le quel j’étois, et du quel je devois être ami, car on me regardoit comme tel. Je n’ai pas hesité alors à lui dire avec toute la sincerité tout l’état de l’affaire, l’assurant que je n’aurois jamais entrepris cette negociation, si je n’avois eté sûr en moi même de ne jamais reussir, car j’étois informé de Venise meme à ne pas pouvoir en douter que le marquis Serpos etoit dans l’impossibilité absolue de rendre à l’abbé les m/400 ducats. Il conçut la chose. Les armeniens acheterent pour m/30 florins la maison du conseiller Rizzi, et allerent y habiter : j’allois les voir de tems en tems sans leur plus parler de retourner à Venise. Mais voici la derniere preuve d’amitié que le comte de Wagensberg me donna, car il est mort dans l’automne à l’age de cinquante ans.

Un beau matin il s’arreta, après avoir lu un long cahier qu’il venoit de recevoir de Vienne, et il me dit qu’il étoit faché que je n’entendisse l’allemand, car il me le donneroit à lire. Voila, me dit il, de quoi il s’agit, et de quoi vous faire honneur avec votre patrie sans risquer de deplaire à ceux qui par état sont obligés de prouver à notre commerce tous les avantages possibles. Je vais vous confier une chose que vous ne devez jamais dire d’avoir su de moi même ; mais dont vous pouvez tirer grand parti soit que vous reussissiez, soit que vos demarches soit vaines, car on rendra justice à votre patriotisme, et on vous saura gré de la diligence avec la quelle vous l’aurez comuniquée, et on vous tiendra compte de l’adresse avec la quelle vous l’aurez decouverte. Vous n’aurez cependant pas besoin de dire comment vous avez penetrée l’affaire. Dites seulement que vous ne le comuniqueriez pas si vous n’en étiez sûr.