Aller au contenu

Page:Casanova - Mémoires de ma vie, Tome 10.pdf/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203. 269
[125r]


de la chandele de suif, tandis qu’il avoit de la bougie, je retourne dans mon taudis, et je fais des reflexions serieuses. Mon premier mouvement m’excitoit à m’en aller. Malgrè que je ne fusse J’avois trente ou quarante cequins dans ma poche, et beaucoup plus de cœur le maitre que de quarante à cinquante cequins j’avois autant de cœur que lorsque j’etois riche il y avoit dix ans. Mais j’ai rejeté ce parti, me semblant que je ne pouvois le prendre qu’en lui fesant un affront sanglant. Le seul grand grief étant la chandele, je me determine à demander au laquais s’il n’avoit pas reçu ordre de me porter des bougies : cette demarche m’étoit necessaire, car ce pouvoit être une faute du laquais furlan. C’étoit le même qui vint une heure après me porter une tasse de caffé tout versé dans la tasse, et sucré à sa façon. Je lui dis avec un eclat de rire, car il falloit ou rire, ou la lui jeter au nez, que ce n’étoit pas de cette façon qu’on servoit du caffé ; et je le laisse là, otant mon bonnet pour qu’il me peigne. N’en pouvant plus, je lui demande pourquoi il m’avoit porté du suif, et non pas de la cire. Il me repond modestement, que celui qui tenoit les bougies étoit le pretre, et qu’il ne lui en avoit donné qu’une pour son maitre. Je ne replique pas. Je pense que le vilain pretre peut avoir cru de pecher contre l’economie me donnant de la bougie, ou pensé que cela put m’etre egal. Je decide d’interroger le pretre dans le jour même.

D’abord que je fus vetu, je sors pour aller un peu me promener, et je rencontre le pretre avec un serrurier. Il me dit que n’ayant pas de serrure prête il alloit faire mettre un cadenas sur la porte de ma chambre, dont il me donneroit la petite clef. Je lui repons que c’etoit egal pourvu que je pusse fermer ma chambre, et je retourne avec lui sur mes pas pour être present à l’operation. Tandis que le serrurier marteloit je demande au pretre pourquoi il m’avoit envoyé une chandele, et non pas une, ou deux bougies. Il me repond qu’il n’auroit jamais osé faire cela sans l’ordre exprès de M. le comte — Est ce que cela, lui dis-je, ne va pas sans dire ? — Rien ici ne va sans dire. C’est moi qui achete les bougies, et il me les paye sans crainte de se tromper, car la bougie est sur la carte toutes les fois qu’il lui en faut une autre —