de la chandele de suif, tandis qu’il avoit de la bougie, je retourne
dans mon taudis, et je fais des reflexions serieuses. Mon
premier mouvement m’excitoit à m’en aller. Malgrè que je ne fusse J’avois trente
ou quarante cequins dans ma poche, et beaucoup plus de cœur le maitre que de quarante à cinquante cequins j’avois autant de cœur
que lorsque j’etois riche il y avoit dix ans. Mais j’ai rejeté ce
parti, me semblant que je ne pouvois le prendre qu’en lui fesant
un affront sanglant. Le seul grand grief étant la chandele, je me
determine à demander au laquais s’il n’avoit pas reçu ordre de
me porter des bougies : cette demarche m’étoit necessaire, car ce
pouvoit être une faute du laquais furlan. C’étoit le même qui
vint une heure après me porter une tasse de caffé tout versé dans
la tasse, et sucré à sa façon. Je lui dis avec un eclat de rire, car
il falloit ou rire, ou la lui jeter au nez, que ce n’étoit pas de cette
façon qu’on servoit du caffé ; et je le laisse là, otant mon bonnet
pour qu’il me peigne. N’en pouvant plus, je lui demande pourquoi
il m’avoit porté du suif, et non pas de la cire. Il me repond
modestement, que celui qui tenoit les bougies étoit le
pretre, et qu’il ne lui en avoit donné qu’une pour son maitre.
Je ne replique pas. Je pense que le vilain pretre peut avoir cru de
pecher contre l’economie me donnant de la bougie, ou pensé que
cela put m’etre egal. Je decide d’interroger le pretre dans le jour
même.
D’abord que je fus vetu, je sors pour aller un peu me promener, et je rencontre le pretre avec un serrurier. Il me dit que n’ayant pas de serrure prête il alloit faire mettre un cadenas sur la porte de ma chambre, dont il me donneroit la petite clef. Je lui repons que c’etoit egal pourvu que je pusse fermer ma chambre, et je retourne avec lui sur mes pas pour être present à l’operation. Tandis que le serrurier marteloit je demande au pretre pourquoi il m’avoit envoyé une chandele, et non pas une, ou deux bougies. Il me repond qu’il n’auroit jamais osé faire cela sans l’ordre exprès de M. le comte — Est ce que cela, lui dis-je, ne va pas sans dire ? — Rien ici ne va sans dire. C’est moi qui achete les bougies, et il me les paye sans crainte de se tromper, car la bougie est sur la carte toutes les fois qu’il lui en faut une autre —