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Page:Cellini, Oeuvres completes, trad leclanché, 1847.djvu/93

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LIVRE PREMIER

complète. Je leur répondis que ma plus grande ambition avait été d’égaler les ouvrages de l’illustre Caradosso, et que, si leurs seigneuries pensaient que j’eusse réussi, je me regardais comme parfaitement récompensé. Là-dessus, je pris congé d’eux. Ils m’envoyèrent de suite un si riche présent qu’il ne me resta rien à désirer. Ce succès accrut mon ardeur, au point qu’il arriva ce que je relaterai plus loin.

Maintenant, je vais un peu laisser de côté ma profession, pour raconter un de ces fâcheux accidents qui marquèrent le cours de ma vie orageuse. J’ai parlé plus haut de nos réunions d’artistes et de la plaisante scène qu’occasionna cette Pantasilea, qui m’ennuyait de son amour de mauvais aloi. Irritée au plus haut point de la joyeuse folie du souper, où Diego l’Espagnol avait joué un rôle, elle s’était juré d’en tirer vengeance, et bientôt il se présenta une occasion où ma vie courut le plus grand danger. Voici comment.

Il était venu à Rome un jeune homme nommé Luigi Pulci, lequel était fils de ce Pulci qui eut la tête tranchée pour avoir abusé de sa propre fille. Luigi avait un merveilleux génie pour la poésie, possédait à fond la littérature latine, écrivait avec élégance, et se faisait remarquer par la grâce de ses manières et sa rare beauté. Il avait quitté le service de je ne sais quel évêque, et il était rongé du mal de Naples. À l’époque où il habitait Florence, on avait coutume, durant les nuits d’été, de se rassembler dans les rues et d’y exécuter des concerts. Il était de ceux qui improvisaient avec le plus de talent. Ses chants étaient si beaux, que le divin Michel-Ange Buonarroti, dès qu’il savait où il se trouvait, ne manquait jamais d’aller l’écouter avec le vaillant orfèvre Piloto[1] et moi. C’est ainsi que je vins à connaître Luigi Pulci.

  1. Vasari cite, en maints endroits de son livre, l’orfèvre Piloto comme l’ami de