Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/424

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dernier roi des Goths, entra dans la bataille où il perdit la vie et le royaume. — Je gagerais, s’écria Sancho, que, puisqu’on ne lui a donné aucun de ces fameux noms de chevaux si connus, on ne lui aura pas davantage donné celui du cheval de mon maître, Rossinante, qui, en fait d’être ajusté comme il faut, surpasse tous ceux que l’on a cités. — Cela est vrai, répondit la comtesse barbue ; mais cependant le nom de l’autre lui va bien aussi, car il s’appelle Clavilègne-le-Véloce[1], ce qui exprime qu’il est de bois, qu’il a une cheville au front, et qu’il chemine avec une prodigieuse célérité. Ainsi, quant au nom, il peut bien le disputer au fameux Rossinante. — En effet, le nom ne me déplaît pas, répliqua Sancho ; mais avec quel frein ou quel harnais se gouverne-t-il ? — Je viens de dire, répondit la Trifaldi, que c’est avec la cheville. En la tournant d’un côté ou de l’autre, le chevalier qui est dessus le fait cheminer comme il veut, tantôt au plus haut des airs, tantôt effleurant et presque balayant le sol, tantôt au juste milieu, qu’il faut toujours chercher dans toutes les actions bien ordonnées. — Je voudrais le voir, reprit Sancho ; mais penser que je monte dessus, soit en selle, soit en croupe, c’est demander des poires à l’ormeau. À peine puis-je me tenir sur mon grison, assis dans le creux d’un bât plus douillet que la soie même ; et l’on voudrait maintenant que je me tinsse sur une croupe de bois, sans coussin, ni tapis ! Pardine, je n’ai pas envie de me moudre pour ôter la barbe à personne. Que ceux qui en ont de trop se la rasent ; mais pour moi, je ne pense pas accompagner mon maître dans un si long voyage. D’ailleurs, je n’ai pas sans doute à servir pour la tonte de ces barbes, comme pour le désenchantement de madame Dulcinée. — Si vraiment, ami, répondit Doloride ; et tellement, que sans votre présence, nous ne ferons rien de bon. — En voici bien d’une autre ! s’écria Sancho ; et qu’ont à voir les écuyers dans les aventures de leurs seigneurs ? Ceux-ci doivent-ils emporter la gloire de celles qu’ils mettent à fin, et nous, supporter le travail ? Mort de ma vie ! si du moins les historiens disaient : « un tel chevalier a mis à fin

    Grande-Ourse. Ce n’est point non plus Péritoa qu’il fallait nommer, mais Pyroéis, suivant ces vers d’Ovide (Métam., liv. II) :

    Interea volucres Pyrœis, Eous et Aethon,
    Solis equi, quartusque Phlegon, hinnitibus auras
    Flammiferis implent, pedibusque repagula pulsant.

  1. Clavileño el aligero. Nom formé des mots clavija, cheville, et leño, pièce de bois.