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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/145

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Je puis, la serpe en main, piauler et diriger
Et le cep et la treille, espoir de ton verger.
Je tiendrai la faucille ou la faux recourbée,
Et devant mes pas l’herbe ou la moisson tombée
Viendra remplir ta grange en la belle saison ;
Afin que nul mortel ne dise en ta maison,
Me regardant d’un œil insultant et colère :
Ô vorace étranger, qu’on nourrit à rien faire !

— Vénérable indigent, va, nul mortel chez moi
N’oserait élever sa langue contre toi.
Tu peux ici rester, même oisif et tranquille,
Sans craindre qu’un affront ne trouble ton asile.
— L’indigent se méfie. — Il n’est plus de danger.
— L’homme est né pour souffrir. — Il est né pour changer.
— Il change d’infortune ! — Ami, reprends courage :
Toujours un vent glacé ne souffle point l’orage.
Le ciel d’un jour à l’autre est humide ou serein,
Et tel pleure aujourd’hui qui sourira demain.

— Mon hôte, en tes discours préside la sagesse.
Mais quoi ! la confiante et paisible richesse
Parle ainsi. L’indigent espère en vain du sort ;
En espérant toujours il arrive à la mort.
Dévoré de besoins, de projets, d’insomnie,
Il vieillit dans l’opprobre et dans l’ignominie.
Rebuté des humains durs, envieux, ingrats,
Il a recours aux dieux qui ne l’entendent pas.
Toutefois la richesse accueille mes misères ;
Et puisque ton cœur s’ouvre à la voix des prières,
Puisqu’il sait, ménageant le faible humilié,
D’indulgence et d’égards tempérer la pitié,