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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/165

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Chante une moins suave et tendre mélodie.
Il s’incline à ses pieds ; tient sur elle les yeux,
Lui montre la beauté de son flanc spacieux.
Soudain : « Venez, venez, ô mes chères compagnes,
Dit-elle ; de nos jeux égayons ces campagnes.
Sur ce taureau si doux nous allons nous asseoir ;
Son large dos pourra toutes nous recevoir,
Toutes nous emporter, comme un vaste navire.
C’est un esprit humain qui sans doute l’inspire.
Nul autre ne s’est vu qui pût lui ressembler.
Il lui manque une voix. Il voudrait nous parler. »
Elle dit et s’assied. La troupe à l’instant même
Vient ; mais se relevant sous le fardeau qu’il aime,
Le Dieu fuit vers la mer. L’imprudente soudain
Les appelle à grands cris, pleure, leur tend la main :
Elles courent ; mais lui, qui de loin les devance,
Comme un léger dauphin dans les ondes s’élance.
En foule, sur les flancs de leurs monstres nageurs,
Les filles de Nérée autour des voyageurs
Sortent. Le roi des eaux, calmant la vague amère,
Fraye, agile pilote, une voie à son frère ;
D’hyménée, auprès d’eux, les humides Tritons
Sur leurs conques d’azur répètent les chansons.
Sur le front du taureau la belle, palpitante
S’appuie, et l’autre main tient sa robe flottante
Qu’à bonds impétueux souillerait l’eau des mers.
Autour d’elle son voile épandu dans les airs,
Comme le lin qui pousse une nef passagère,
S’enfle, et sur son amant la soutient plus légère.
Mais, dès que nul rivage, à son timide effroi,
Nul mont ne s’offrit plus, qu’elle n’eût devant soi