Aller au contenu

Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/333

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle m’a dit : « Pourquoi t’éloigner de Camille ?
Tu sais bien que je meurs si tu n’es près de moi. »
Ma Camille, je viens, j’accours, je suis chez toi.
Le gardien de tes murs, ce vieillard qui m’admire
M’a vu passer le seuil et s’est mis à sourire.
Bon ! j’ai su (les amants sont guidés par les dieux)
Monter sans nul obstacle et j’ai fui tous les yeux.

Ah ! que vois-je ?… Pourquoi ma porte accoutumée,
Cette porte secrète est-elle donc fermée ?
Camille, ouvrez, ouvrez, c’est moi. L’on ne vient pas.
Ciel ! elle n’est point seule ! On murmure tout bas,
Ah ! c’est la voix de Lise. Elles parlent ensemble.
Ou se hâte ; l’on court ; on vient enfin ; je tremble.
Qu’est-ce donc ? à m’ouvrir pourquoi tous ces délais ?
Pourquoi ces yeux mourants et ces cheveux défaits ?
Pourquoi cette terreur dont vous semblez frappée ?
D’où vient qu’en me voyant Lise s’est échappée ?
J’ai cru, prêtant l’oreille, ouïr entre vous deux
Des murmures secrets, des pas tumultueux.
Pourquoi cette rougeur, cette pâleur subite,
Perfide ? un autre amant… Ciel ! elle a pris la fuite.
Ah dieux ! je suis trahi. Mais je prétends savoir…
Lise, Lise, ouvrez-moi, parlez ; mais fol espoir !
La digne confidente auprès de sa maîtresse
Lui travaille à loisir quelque subtile adresse,
Quelque discours profond et de raisons pourvu,
Par qui ce que j’ai vu je ne l’aurai point vu.
Dieux ! comme elle approchait (sexe ingrat, faux, perfide !)
S’essayant, effrontée à la fois et timide,
Voulant hâter l’effort de ses pas languissants,