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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/336

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Elle alors d’une voix tremblante et favorable
Lui disait : « Non, partez ; non, je suis trop coupable. »
Elle parlait ainsi, mais lui tendait les bras.
Le jeune homme près d’elle arrivait pas à pas.
Alors je vis s’unir ces deux bouches perfides.
En des baisers liés par leurs langues humides ;
l’en entendais le bruit. Le traître, d’une main
Pressait avidement les globes de son sein ;
L’autre… les plis du lin qui cachait ses ravages
M’empêchaient de la suivre et de voir tes outrages.
Malgré quelques combats, bientôt après je vis.
Loin jetés à l’écart et voiles et tapis.
Tout jusqu’au lin flottant, sa défense dernière.
Aux regards, aux fureurs la livrant tout entière,
Étaler de ses flancs l’albâtre ardent et pur,
Lis, ébène, corail, roses, veines d’azur,
Telle enfin qu’autrefois tu me l’avais montrée,
De sa nudité seule embellie et parée,
Quand vos nuits s’envolaient, quand le mol oreiller
La vit sous tes baisers dormir et s’éveiller,
Et quand tes cris joyeux vantaient ma complaisance,
Et qu’elle, en souriant, maudissait ma présence.
En vain au dieu d’amour, que je crus ton appui,
Je demandai la voix qu’il me donne aujourd’hui.
Je voulais reprocher tes pleurs à l’infidèle ;
Je l’aurais appelée ingrate, criminelle.
Du moins, pour réveiller dans leur profane sein
Le remords, la terreur, je m’agitai soudain,
Et je fis à grand bruit de la mèche brûlante
Jaillir en mille éclairs la flamme pétillante.
Elle pâlit, trembla, tourna sur moi les yeux,