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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/340

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Dieux ! quels flots de vapeurs inondent son visage !
Ses yeux si doux sont morts ; elle croit qu’elle vit ;
Esculape doit seul approcher de son lit ; »
Et puis tout ce qu’en vous je leur montrais de grâce
N’était rien à leurs yeux que fard et que grimace.
Je devais avoir honte : ils ne concevaient pas
Quel charme si puissant m’attirait dans vos bras.
Dans vos bras ! qu’ai-je dit ? Oh non ! Vénus avare
Ne m’a point fait un don qui fut toujours si rare.
Si je l’ai cru long-temps, après votre serment,
Je vous crois, et jamais une belle ne ment ;
Jamais de vos bontés la confidente amie
Ne vint m’ouvrir la nuit une porte endormie,
Et jusqu’au lit de pourpre en cent détours obscurs,
Guider ma main errante à pas muets et sûrs.
Je l’ai cru, pardonnez ; mais ce sera, je pense,
Oui, c’est qu’à mon sommeil plein de votre présence,
Un songe officieux, enfant de mes désirs,
M’apporta votre image et de vagues plaisirs.
Cette faute à vos yeux doit s’excuser peut-être ;
Même on cite un ingrat qui vous la fit commettre.
Adieu, suivez le cours de vos nobles travaux.
Cherchez, aimez, trompez mille imprudents rivaux ;
Je ne leur dirai point que vous êtes perfide,
Que le plaisir de nuire est le seul qui vous guide,
Que vous êtes plus tendre alors qu’un noir dessein,
Pour troubler leur repos veille dans votre sein ;
Mais ils sauront bientôt, honteux de leur faiblesse,
Quitter avec opprobre une indigne maîtresse ;
Vous pleurerez, et moi j’apprendrai vos douleurs
Sans même les entendre, ou rire de vos pleurs.