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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/359

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Mais aujourd’hui que ton règne est méconnu… tu rougis sans doute de te voir défendue par des magistrats débauchés qui traînent dans l’ordure une vieillesse flétrie.

Tout flétri de sommeil ou de veilles impures. Tacite.


LVI[1]


Ah ! tu ne m’entends point. Vois, reconnais ce sein.
Vois, j’embrasse ton urne et je te parle en vain.
Mes soupirs et les pleurs d’une paupière aimée
Ne peuvent réchauffer ta cendre inanimée.
Portes d’enfer, cessez de me le retenir !
Une heure, un seul instant, laissez-le revenir
La nuit, voir celle couche, hélas ! qui fut la sienne !
Que je n’embrasse plus l’ombre invisible et vaine !
Qu’un instant je le voie ! Ah ! tu n’es plus à moi !
Et éternelle nuit me sépare de toi !
Et je suis seule au monde ! ô déités jalouses !
Ô dieux ! dieux de la mort ennemis des épouses,
Que vous avais-je fait ? À peine étais-je à lui !…
Trois mois coulaient à peine ! Ô solitaire ennui !
Ô tombe, ouvre tes bras à la veuve expirante !
Eh ! puisqu’il ne vit plus, comment suis-je vivante ?
— Elle pleurait ainsi, haletante, et ses mots
Expiraient sur sa bouche étouffés de sanglots.
Ses yeux gros d’amertume inondaient son visage.
J’aurai peut-être alors agité le feuillage ;

  1. Éd. G. de Chénier.

    Le poète à développé dans ce morceau le canevas tracé dans les Bucoliques, n° xli, Mes mânes à Clytie. La jeune veuve parle d’abord.