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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/370

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Un vagabond Orphée incliné sous le poids,
Du vent mélodieux fait résonner la voix…




Il rêve sous les bois ; il les peuple de belles.
À ses jeunes chansons il sait donner des ailes,
Pour voler, enflammé d’amour et de désirs.
Porter à la beauté son âme et ses soupirs.




Ni l’art de Machaon, ni la plante divine,
Qui ranime le flanc des biches de Gortine[1],
Ni les chants de Circé qui font pâlir le jour,
N’ont pouvoir de guérir la blessure d’amour.
Des bois américains l’écorce bienfaisante
N’éteint pas les accès de cette fièvre ardente.
Ils redoublent souvent.




Le guerrier Scandinave, effroi du nord barbare,
N’osa point regarder la belle Konismare[2] ;

  1. Le dictame, cette plante de Crète, qui, dit Virgile (Enéide, XII, 414) « n’est point ignorée des chèvres sauvages, lorsqu’une flèche rapide s’est arrêtée dans leur flanc. » (B. de F.)
  2. Charles XII, roi de Suède. On lit dans l’histoire de ce roi, par Voltaire : » Le roi (Auguste de Pologne) se détermina à demander la paix au roi de Suède. L’affaire était délicate ; il s’en reposa sur la comtesse de Kœnigmaark, Suédoise d’une grande naissance, à laquelle il était attaché… Charles XII refusa constamment de la voir. Elle prit le parti de se trouver sur son chemin, dans les fréquentes promenades qu’il faisait à cheval. Effectivement, elle le rencontra un jour dans un sentier fort étroit ; elle descendit de carrosse dès qu’elle l’aperçut : le roi la salua sans lui dire un seul mot, tourna la bride de son cheval, et s’en retourna dans l’instant ; de sorte que la comtesse de Kœnigsmark ne remporta de son voyage que la satisfaction de pouvoir croire que le roi de Suède ne redoutait qu’elle. »