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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/63

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II

En parlant l’autre jour de Montaigne, et en le présentant au milieu des dissensions civiles avec toute sa philosophie, tout son bon sens et toute sa grâce, je n’ai pas prétendu offrir un modèle, mais seulement un portrait. Ici, c’est un autre portrait que je voudrais montrer en regard, et d’une nature toute différente, d’un caractère non moins enviable et cher aux gens de bien. André Chénier va nous personnifier en lui une autre manière d’être et de se comporter en temps de révolution, une manière de sentir plus active, plus passionnée, plus dévouée et plus prodigue d’elle-même, une manière moins philosophique sans doute, mais plus héroïque. Supposez non plus du tout un Montaigne, mais un Étienne de La Boëtie vivant en 89 et en 93, ou encore un Vauvenargues à cette double date, et vous aurez André Chénier.

Par nature, par instinct et par vocation, il n’était nullement un homme politique : il aimait avant tout la retraite, l’étude, la méditation, une société d’amis intimes, une tendre et amoureuse rêverie. Ses mâles pensées elles-mêmes se tournaient volontiers en considérations solitaires, et s’enfermaient, pour mûrir, en de lents écrits. Que si quelque événement public venait à éclater et à faire vibrer les âmes, il y prenait part avec ardeur, avec élévation ; mais il aimait à rentrer aussitôt après dans ses studieux sentiers, du côté où était sa ruche, toute remplie, comme il dit, d’un poétique miel. Tel il fut pendant des années,