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Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/65

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s’avance et se compromet auprès des principaux personnages, jusqu’à mériter pour un temps prochain leur désignation et leur vengeance. C’est comme si, dans l’Antigone de Sophocle, un jeune homme du chœur sortait tout à coup des rangs, transporté de pitié pour la noble vierge, invectivait le tyran au nom de la victime, et méritait que Créon l’envoyât mourir avec elle. Antigone, pour André Chénier, c’était la Justice, c’était la Patrie.

Né en 1762 à Constantinople, d’une mère grecque, nourri d’abord en France sous le beau ciel du Languedoc, après ses études faites à Paris au collège de Navarre, il essaya quelque temps de la vie militaire ; mais, dégoûté bientôt des exemples et des mœurs oisives de garnison, il chercha l’indépendance. La jeunesse croit aisément se la procurer. Il eut quelques-unes de ces années consacrées à l’étude, à l’amitié, aux voyages, à la poésie. La dure nécessité pourtant, comme il l’appelle, le rengagea dans une carrière ; il fut attaché à la diplomatie et passa jusqu’à trois ans à Londres, trois années d’ennui, de souffrance et de contrainte. La Révolution de 89 le trouva dans cette position, et il ne tarda pas à s’en affranchir. André Chénier partageait à beaucoup d’égards les idées de son siècle, ses espérances, ses illusions même. Ce n’est pas qu’il ne l’eût jugé au moral et littérairement : « Pour moi, dit-il, ouvrant les yeux autour de moi au sortir de l’enfance, je vis que l’argent et l’intrigue sont presque la seule voie pour aller à tout ; je résolus donc dès lors, sans examiner si les circonstances me le permettaient, de vivre toujours