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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/188

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contre cette manie d’interprétation, aussi contraire à l’art qu’à la vraie philosophie, et qui semble, de nos jours, faire rage.

Mais l’action réciproque de l’artiste sur le philosophe et du philosophe sur l’artiste n’en est que plus intéressante. On sait la haute valeur que Schopenhauer attribuait à l’artiste « qui » dit-il, « comprend la nature à demi-mot, et exprime clairement ce qu’elle ne fait que bégayer ». C’est dans l’art que sa philosophie cherchait et trouvait la sagesse. Il en arriva de même à Wagner, quand Schopenhauer l’introduisit dans le domaine de la véritable philosophie. Il dit qu’elle lui a donné « dans un épisode décisif de la vie intérieure, la force nécessaire pour persévérer et pour renoncer à lui-même ». Ailleurs, il l’appelle « un présent du ciel ». Chose bien digne de remarque, aussi, l’initiation du maître à la philosophie de Schopenhauer a eu une influence fécondante, excitatrice tout au moins, sur sa force de production ; la musique de la Valkyrie, l’idée maîtresse de Tristan, la figure de Parsifal datent toutes de cette année mémorable, 1854. On peut voir combien cette philosophie servit à clarifier sa conception des questions artistiques, par le premier écrit d’importance capitale qu’il publia après ce moment, la Musique de l’Avenir (1860) ; et combien elle apporta de netteté dans sa pensée religieuse et sociale, cela ressort suffisamment de ses traités, de l’État et de la Religion (1864) et l’Art allemand et la Politique allemande (1865). Mais cette action excitatrice est toute générale ; elle fortifie l’homme tout entier. À l’aspect de la puissance magnifique du philosophe, sa pensée semblait se réaliser, s’emplir et se grandir dans l’art, la flamme de son propre génie s’avivait et s’élançait plus haut. Le pessimisme de Schopenhauer était la seule doctrine