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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/262

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lui-même, c’est de l’avenir seul que nous aurons à l’attendre.

Une faudrait pas supposer, cependant, que, pour avoir été un « solitaire », Wagner ait entièrement échappé à cette loi de « production collective » dont il faisait la condition nécessaire de toute véritable création artistique. L’art nouveau qu’il a créé, en effet, il ne l’a créé qu’avec la collaboration de tous les grands poètes et musiciens d’autrefois, et tout particulièrement des artistes de son pays. Et c’est même, à nos yeux, sa vraie grandeur, qu’il n’ait pas été dans l’histoire un accident, un phénomène isolé, mais au contraire le produit direct et longuement préparé de toute l’évolution artistique du génie allemand. Le drame wagnérien est l’œuvre et la propriété des grands poètes et des grands musiciens de l’Allemagne : c’est en leur nom, sur leur ordre, que Wagner a parlé et qu’il a créé.

Tous les grands musiciens allemands ont été, en effet, des dramaturges. Les Passions et la Grande Messe de Bach prouvent assez l’énorme puissance dramatique du vieux maître ; et il n’y a pas une de ses œuvres de pure musique où n’apparaisse son souci de l’accent et de l’expression. Pareillement Hændel ; et Haydn lui-même n’échappe pas à cette règle. Gluck, qui, du genre faux du Dramma per musica a tiré des merveilles de force et de vérité dramatiques ; Mozart, « ce suprême et divin génie », comme l’appelait Wagner, Mozart qui, en dépit de livrets abominables, dont il souffrait cruellement, et des fâcheuses conditions où il se trouvait, nous a laissé des drames immortels ; enfin Beethoven, qui n’était rien qu’un dramaturge : tous ces maîtres paraissent avoir senti, d’une façon plus ou moins consciente, que quelque chose leur manquait