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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/351

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immédiate ; car elle a précisément pour but de nous révéler l’individualité à sa plus haute puissance, elle nous la montre comme ce qui seul est réel et grand, comme « la plus glorieuse couronne de l’humanité » ; mais, en même temps, nous voyons l’individualité vraiment grande émerger inconsciente, instinctive, et sans but voulu, de l’océan confus de cette humanité, nous savons que, pas un instant elle ne peut se dégager du contact qui l’enserre, ni s’élever à la complète liberté ; nous comprenons que, comme la plus haute vague dans l’onde agitée, il lui faudra retomber et se confondre dans ce qui n’a ni nom ni forme. Et c’est ainsi que la malédiction ne frappe point seulement les dieux, les géants, les nains, les Gibichungen, dont l’avidité convoitait l’or fatal, point seulement Brünnhilde, Siegmund et Sieglinde, engendrés par Wotan pour assurer l’accomplissement de ses ambitieux desseins, mais encore Siegfried, le héros, lui pourtant « libre d’envie », et « étranger au dieu et dédaigneux de sa faveur ». « C’est ainsi qu’une idée profonde, qui n’apparaît, dans les restes de l’antique légende, qu’à peine indiquée et par lambeaux, l’idée de la malédiction qui s’attache à l’or jusque dans les mains de l’amour, se manifeste ici dans sa clarté consciente[1] ». Dans cette œuvre gigantesque, nous avons donc, en un sens, une combinaison de la tragédie de la volonté et de celle de la fatalité : Wotan est le héros de la première, Siegfried celui de la seconde. Brünnhilde, dont la vie se mêle à la leur si étroitement, est, elle, l’héroïne d’une double tragédie : sa volonté lui fait perdre sa divinité et la livre « au sommeil de la mort » ; et, une fois éveillée par Siegfried à une nouvelle existence, à l’existence

  1. Wolzogen : Le Mythe des Nibelungen, p. 136.