Aller au contenu

Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans l’âme des personnages. Et les mouvements de cette dernière prennent toujours plus de place dans le drame. La notion de « l’action dramatique » s’en trouve élargie et intériorisée. Sans l’impression visuelle, jamais le drame n’eût pu entreprendre la dramatisation de sujets comme ceux de Hamlet et du Roi Lear, qui sont presque uniquement des tragédies de l’âme. Par une conséquence évidente, la signification de la parole, en tant que moyen descriptif d’expression, là, a diminué ; par contre, la valeur musicale de la langue, chez Shakespeare, est encore si grande, que les traductions de ses œuvres sont à l’original ce qu’un squelette décharné est à un adolescent brillant de jeunesse et de santé.

Richard Wagner, qui dit lui-même de ses procédés que « de tout temps ils se sont beaucoup rapprochés de ceux de nos grands maîtres (allemands) », ajoute à l’intelligence et à l’œil, comme moyen artistique et constructif d’expression, l’oreille, c’est-à-dire l’oreille non plus comme organe réceptif de la parole intelligible, mais comme organe du sens musical, au moyen duquel les mouvements les plus intimes peuvent se communiquer de l’âme des personnages à celle des auditeurs, et cela avec une sûreté immédiate, absolument en dehors de la puissance des mots. Pour que cela pût se faire, il fallait sans doute d’abord que la musique eût acquis, au cours des siècles, un développement qui lui donnât une souplesse et une richesse d’expression égales au moins à celle de la langue parlée ; il fallait qu’elle eût atteint, pour se pleinement adapter au drame, la mobilité la plus illimitée. « Les conquêtes de la musique moderne », écrit le maître, « grâce surtout aux grands maîtres allemands, ont seules rendu possible la naissance d’un art dramatique