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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/377

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peut se faire forme et image, ce n’est que là qu’elle peut passer du domaine de l’arbitraire dans celui de la nécessité ; et c’est pourquoi cette œuvre d’art suprême, le drame tel qu’il l’a compris et révélé, fut toujours le but de ses efforts. C’est justement parce qu’il était un si puissant musicien, qu’il devait, de toute nécessité, vouloir le drame. Comme celui de Sophocle, le sien devait faire apparaître la situation donnée au moyen de l’intelligence ; comme celui de Shakespeare, le drame wagnérien devait dessiner clairement, nettement, et la figure individuelle de ses héros, et les événements où ils se meuvent ; mais il allait désormais, manifester, avec une sûreté digne de Beethoven, dans la situation « concevable » l’inconcevable, l’homme dans le personnage, et, dans les péripéties extérieures, l’action intérieure, l’action de l’âme. Il fallait que la musique nous emportât nous-mêmes avec une irrésistible véhémence, de même que Parsifal est emporté au gré de sa volonté impétueuse, et qu’ainsi le poète disposât souverainement de nous. Et encore n’était-ce là qu’un premier pas tout extérieur, qu’une préparation, en quelque sorte. La musique devait nous apprendre à voir, comme Parsifal, jusque dans l’essence même des choses ; à comprendre « les brins d’herbe, les fleurs et leurs corolles nous confiant leurs tendres secrets », comme dans le « Charme du Vendredi-Saint ; » à ressentir, dans notre propre souffrance, la douleur de « nos frères en détresse, à démêler, dans notre plainte à nous, la plainte de Dieu même, le soupir de la création ». Ainsi, comme naguère dans le drame de Shakespeare comparé à celui de Sophocle, encore ici, la notion de l’action dramatique se trouvait à la fois intériorisée et universalisée ; intériorisée, parce que la musique est pour nous le seul moyen de pénétrer dans l’invisible