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Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/80

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Wagner que la prison eût tué, puis il sauve ses œuvres. Pendant des années, les lettres de Liszt, les visites de Liszt, sont le seul aliment de vie et de travail pour le solitaire de Zurich ; ce « grand et vaste cœur qui s’ouvre devant lui », c’est sa consolation, son espérance : « Toi, le seul et l’aimé, toi qui m’es tout, oui, tout, et prince, et monde !… Vraiment, où que je me tourne aujourd’hui, si loin que mon regard sonde l’avenir, je ne vois rien qui puisse me relever, m’apporter la consolation et la force, m’armer à nouveau pour le combat de la vie, rien que l’espérance de te revoir, rien que ces deux ou trois semaines que tu me promets. »

D’autre part, il ne faut pas l’oublier, si ce que Liszt offrait et donnait à Wagner, c’était « un grand et vaste cœur », il ne pouvait être question entre eux, comme entre Gœthe et Schiller, d’un échange de réflexions critiques capable d’influer en quoi que ce soit sur leurs œuvres. Wagner créait comme nous pouvons nous représenter qu’un Shakespaere a créé ; son œuvre le possédait à l’égal d’une de ces forces de la nature, dont l’énergie fatale, immuable, ne dévie jamais de la voie tracée par le doigt de Dieu. Liszt eut même quelques craintes à l’égard de Lohengrin, de son « coloris ultra-idéal » ; il en eut pour le texte de Tristan et Iseult, etc. : et ce ne fut que l’exécution de Lohengrin, dirigée par lui à Weimar, qui le convainquit que « cette œuvre merveilleuse représentait ce que l’art peut produire de plus parfait et de plus élevé » ; et ce ne fut que lors de l’exécution musicale de Tristan et Iseult qu’il se rendit vraiment compte qu’il n’avait pas compris jusque-là, et qu’il sut s’incliner, muet d’admiration, devant ce qu’il appelle un « céleste miracle ». Wagner, de son côté, n’avait pas même répondu, tout d’abord,