Aller au contenu

Page:Champlain - Oeuvres de Champlain publiées sous le patronage de l'Université Laval, Tome 2, 1870.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le dimanche, vingt-deuxieſme iour dudict mois, nous en partiſmes pour aller à l’iſle d’Orleans[1], où il y a quantité d’iſles à la bande du Su, lesquelles ſont baſſes & couuertes d’arbres, ſemblans eſtre fort agreables, contenans (ſelon ce que i’ay pû iuger) les vnes deux lieuës & vne lieuë, & autres demye ; autour de ces iſles ce ne ſont que rochers & baſſes fort dangereux à paſſer, & ſont elloignées quelques deux lieuës de la grand’terre du Su. Et de là, vinſmes ranger à l’iſle d’Orleans, du coſté du Su. Elle eſt à vne lieuë de la terre du Nord, fort plaiſante & vnie, contenant de long huict lieuës[2]. Le coſté de la terre du Su eſt terre baſſe, quelques deux lieuës auant en terre ; leſdittes terres commencent à eſtre baſſes à l’endroict de laditte iſle, qui peut eſtre à deux lieuës de la terre du Su. A paſſer du coſté du Nort, il y faict fort dangereux pour les bancs de fables, rochers qui ſont entre laditte iſle & la grand’terre, & aſſeiche preſque toute de baſſe mer.

  1. Cette île, suivant Thévet (Grand Insulaire), était appelée par les sauvages Minigo (peut-être Ouinigo, de l’Algonquin Ouindigo, ensorcelé). « I’auois oublié à vous dire, que vne iſle nommée des françoys Orleans & des ſauuages Minigo, eſt l’endroit où la riviere eſt la plus eſtroicte… L’iſle de Minigo ſert de retraite au peuple de ce pays, pour ſe retirer lorſqu’ils ſont pourſuivis de leurs ennemis… Les François, » ajoute-t-il plus loin, « la nommèrent Iſle d’Orleans, en l’honneur d’vn fils de France, qui lors vivoit, & ſe nommoit lors de Valois, Duc D’orleans, fils de ce grand Roy Françoys de Valois, premier du nom. » Si ce nom d’Orleans remonte, comme l’affirme Thévet, à un fils de François I, ce ne peut être que Henri II, qui porta le titre de Duc d’Orleans jusqu’à la mort de son frère aîné François, c’est-à-dire, jusqu’à l’année 1536 : car, cette année-là même, Jacques Cartier, en retournant de son second voyage, dit « vinſmes poſer au bas de l’iſle d’Orleans, environ douze lieues de Saincte Croix. » Il faut donc supposer, ou bien que le nom de Bacchus, donné à cette île par Cartier lui-même l’automne précédent, aura été changé pendant l’hiver que les Français passèrent ici, ou bien que cette île avait déjà reçu son nom de quelque voyageur inconnu ; ce qui n’est guère probable, puisque alors Cartier, qui devait le savoir aussi bien en remontant le fleuve qu’en descendant, ne pouvait, sans inconvenance, substituer un nom assez indifférent en lui-même, à celui d’un fils de France, du fils de son bienfaiteur.
  2. Sept lieues.