Page:Champlain - Oeuvres de Champlain publiées sous le patronage de l'Université Laval, Tome 2, 1870.djvu/68

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beaucoup de peine, pour la crainte que les ſauuages auoient de faire rencontre de leurs ennemis, qui ſont les Armouchicois, leſquels ſont hommes ſauuages du tout monſtrueux pour la forme qu’ils ont[1] ; car leur teſte eſt petite, & le corps court, les bras menus comme d’vn ſchelet, & les cuiſſes ſemblablement, les iambes groſſes & longues, qui ſont toutes d’vne venue ; & quand ils ſont aſſis ſur leurs talons, les genoux leur paſſent plus d’vn demy pied par deſſus la teſte, qui eſt choſe eſtrange, & ſemblent eſtre hors de nature. Ils ſont neantmoins ſort diſpos & determinez, & ſont aux meilleures terres de toute la coſte d’Arcadie[2] : auſſi les Souricois les craignent fort. Mais, auec l’aſſeurance que ledict ſieur de Preuert leur donna, il les mena iuſqu’à laditte mine, où les ſauuages le guiderent[3]. C’eſt vne fort haute montaigne aduançant quelque peu ſur la mer, qui eſt fort reluiſante au ſoleil, où il y a quantité de verd de gris, qui procede de laditte mine de cuiure ; Au pied de laditte montaigne, il dit que de baſſe eau

    ſes auditeurs, ie voy le ſieur Prevert de Sainct Malo qui l’attend à l’iſle Percée, en intention de lui en bailler d’vne ; & s’il ne ſe contente de cela, lui bailler encore avec la fable des Armouchiquois la plaiſante hiſtoire du Gougou, qui fait peur aux petits enfans, afin que par après l’Hiſtoriographe Cayet ſoit auſſi de la partie en prenant cette monnoye pour bon aloy. » Il n’y a là-dessus qu’une remarque à faire : il était beaucoup plus facile à Lescarbot, cinq ou six ans plus tard, de tourner en ridicule la crédulité de Champlain, qu’à celui-ci de bien discerner du premier coup ce qu’il pouvait y avoir de vrai ou de faux dans les récits d’un homme dont il n’avait peut-être pas de raison alors de soupçonner la véracité.

  1. Les Souriquois étaient sans doute intéressés à donner au sieur Prévert une aussi mauvaise idée que possible de leurs ennemis ; et, d’ailleurs, le sieur Prévert était assez disposé à en inventer au besoin, comme Champlain put bientôt le constater par lui-même. « Les Armouchicois, » dit Lescarbot, « ſont auſſi beaux hommes (ſouz ce mot « ie comprens auſſi les femmes) que nous, bien compoſés & diſpos… » (Liv. III, ch. XXIX.)
  2. Ce passage donnerait à entendre que, dans l’origine, on comprenait sous ce nom d’Acadie une bien plus grande étendue de côtes, puisque le pays des Armouchiquois ne commençait qu’au-delà du Kénébec ; c’est du moins ce que nous assurent Champlain et le P. Biard, qui tous deux visitèrent les lieux. (Voir 1613, p. 39.)
  3. Champlain parle ici sur le rapport de Prévert.