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Page:Champlain - Oeuvres de Champlain publiées sous le patronage de l'Université Laval, Tome 2, 1870.djvu/71

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Voylà au certain ce que i’ay apprins & ouy dire audict ſieur Preuert.




CHAPITRE XIII.


D’vn monſtre eſpouuantable que les Saunages appellent Gougou, & de noſtre bref & heureux retour en France.



IL y a encore vne choſe eſtrange, digne de reciter, que pluſieurs ſauuages m’ont aſſeuré eſtre vray[1] : c’eſt que, proche de la Baye de Chaleurs, tirant au Su, eſt vne iſle où faict reſidence vn monſtre eſpouuantable que les ſauuages appellent Gougou, & m’ont dict qu’il auoit la forme d’vne femme, mais fort effroyable, & d’vne telle grandeur, qu’ils me diſoient que le bout des mats de noſtre vaiſſeau ne luy fuſt pas venu iuſques à la ceinture,

  1. Les premiers voyageurs qui abordèrent aux côtes du nouveau monde étaient bien disposés à y trouver un ordre de choses tout différent de celui du monde ancien ; et Champlain tout le premier, en parcourant des régions encore à peu près inexplorées, pouvait croire trop facilement à l’existence de monstres fabuleux. Cependant, si l’on considère ce récit dans son ensemble, on verra qu’il ne fait guère que rapporter textuellement ce que les sauvages et le sieur Prévert étaient unanimes à raconter. Mais, de ce qu’il admettait volontiers l’existence du fait, il ne s’ensuit pas qu’il ait cru tout ce qu’on disait de ce prétendu monstre. C’est ce que prouve assez la réflexion par laquelle il termine : « Mais ie tiens que ce ſoit (qu’il faut que ce soit) la reſidence de quelque diable qui les tourmente de la façon. » Et Lescarbot lui-même, après avoir employé plus de deux pages à expliquer les cauſes des fauſſes viſions & imaginations, et à prouver que le Gougou, c’eſt proprement le remord de la conſcience, finit aussi par dire : « Et n’eſt pas incroyable que le diable poſſedant ces peuples ne leur donne beaucoup d’illuſions. Mais proprement, & à dire la vérité, ce qui a fortifié l’opinion du Gougou a été le rapport dudit Prevert, lequel contoit vn jour au ſieur de Poutrincourt vne fable de même aloy, diſant qu’il avoit veu vn Sauvage jouër à la croce contre vn diable, & qu’il voyoit bien la croce du diable jouër, mais quant à Monſieur le diable il ne le voyoit point. Le ſieur de Poutrincourt qui prenoit plaiſir à l’entendre, faiſoit ſemblant de le croire, pour lui en faire dire d’autres… Or ſi ledit Champlein a été credule, vn ſçavant perſonnage que j’honore beaucoup pour ſa grande literature, eſt encore en plus grand’faute, ayant mis en ſa Chronologie ſeptenaire de l’hiſtoire de la paix imprimée l’an mille ſix cens cinq, tout le diſcours dudit Champlein ſans nommer ſon autheur, & ayant baillé les fables des Armouchiquois & du Gougou pour bonne monnoye. Ie croy que ſi le conte du diable jouant à la croce eût auſſi été imprimé, il l’eût creu, & mis par eſcrit, comme le reſte. »