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Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/49

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molos de l’inquiétude, le chromatisme strident des orages du ciel ou du cœur, le cor des chevaliers égarés dans les forêts où va percer la petite flûte des lutins, le quos ego des trombones, le hautbois des pâtres, le « six-huit » des galops fantastiques, le tambourin des bayadères, le violon ou la clarinette solos pour l’isolement d’une âme désemparée après la « thèse » et l’ « antithèse », avant de trouver la clef de la « synthèse », voilà autant de formules qui ont vite tourné au convenu, au rebattu, au poncif, plus vite sans doute que les dessins ou les timbres d’une sonate, d’un quatuor ou d’une symphonie.

Peut-être conviendrait-il de chercher ici par quel jeu des sens, de l’esprit et du sentiment, s’opère cette sorte de projection des éléments musicaux sur un autre plan, dans une autre sphère que ceux de la musique même, en suscitant des impressions, en éveillant des idées, en dessinant même des images qui d’abord y pouvaient sembler étrangères. Il m’est arrivé de rappeler[1] à propos de musique, que, dans notre vie affective, la sensation pure, et surtout la sensation isolée, n’existe pas. Le centre de son noyau sensoriel rayonne d’un halo, comparable aux harmoniques du son fondamental et qui dans ses dégradations imperceptibles, inconscientes, prend une sorte de contact avec le halo pareil d’une sensation différente. Ces franges voisines se pénètrent ; l’une agit sur l’autre de même que les cylindres d’une calandre ou les roues dentées d’un engrenage ; leur contrariété même crée un mouvement et effectue un « travail » qu’un seul de ces cylindres, une seule de ces roues, ne suffirait pas, isolément, à produire. Le résultat de cette action n’est pas infaillible et ne s’obtient pas à point nommé, parce qu’il s’agit d’un phénomène nullement mécanique, mais vital. Il y faut à la fois la spontanéité, l’adresse et la mesure, qui mettent l’invention au service du génie ou du talent. Cette parenté humaine des impressions reste en effet et toujours approximative. Elle ne va ni jusqu’à une entière

  1. Petit Guide de l’auditeur de musique, Avant-propos, passim.