Aller au contenu

Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rappelle la légende d’une cruelle amazone tchèque qui se venge d’un amour trahi en séduisant un certain chef dont elle fait ensuite massacrer les hommes par la troupe de ses compagnes. Simple « ballade », comme seront la Thamar de Balakirev et le Sadko de Rimsky-Korsakov, mais où la vertu de la légende nationale tient lieu de symbole.

Le quatrième poème est une scène de danses et de chants populaires dans les Prairies et bocages de Bohême, équivalent symphonique de la Fiancée vendue.

Les deux derniers, Tabor et Blanik, célèbrent, l’un la ville des Hussites, illustrée par les guerres de l’indépendance, l’autre la colline où dorment enterrés, en attendant la résurrection que leur promet la gloire du pays tchèque, les héros des guerres hussites. Aussi populaire en Bohême que peut l’être chez les réformés le choral de Luther, un vieux choral tchèque en l’honneur des guerriers de Dieu paraît dans l’un et l’autre poème, intégralement dans Tabor, partiellement dans Blanik, où seule sa conclusion : « Avec lui vous finirez par triompher », forme celle de l’œuvre. Un choral animait de la sorte la Bataille des Huns de Liszt. Celui de Smetana offre un caractère peut-être moins liturgique, sinon moins religieux, mais plus national : il plonge donc dans le souvenir et dans l’âme du peuple des racines non moins profondes, non moins vivantes. Il suffit à faire de l’œuvre, non pas une page narrative ou descriptive, mais un poème où respire l’âme d’une nation dans la pensée d’un compositeur. La communauté de certains motifs entre Vysehrad et la Moldau d’une part, entre Tabor et Blanik de l’autre, donne au cycle tout entier une puissante unité comparable (malgré l’énorme différence de nature et de niveau) à celle de l’Anneau du Nibelung. Elle y met ou y révèle une sorte de ferveur secrète, d’une sincérité, d’une noblesse qui rehaussent le mérite de ces six pages, d’ailleurs éloquentes et pittoresques. Elles élèvent la musique au rang et au rôle d’épopée, avec plus de suite et de précision que n’avait fait Hungaria : c’est là une