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Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/83

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élève une amusante ballade au rang d’apologue souverain, se vérifie chaque jour dans tous les domaines, où elle est devenue proverbiale, mais elle ressortit à la plus hautaine réflexion, non au cœur, ni au sentiment : elle échappe ainsi à la musique. Dukas était un artiste trop intelligent pour ne pas s’en aviser. Il n’a donc pas fini sur quelque phrase de conclusion grave et prédicante, comme le Saint François de Paule de Liszt ou le Phaéton de Saint-Saëns, mais par la formule magique qui ramène l’ordre, sans commentaire. Il n’a retenu de son sujet que l’élément pittoresque, le traitant d’ailleurs avec beaucoup d’imagination, d’esprit, d’éclat et d’art, que ce soit dans le mystère de la formule cabalistique qui déchaîne la danse du balai et le déluge du seau, dans le rythme boiteux de ce balai, accentué par la lourdeur goguenarde du basson ou dans l’inondation étalée sur le plancher de l’atelier en sabbat. Pour bien marquer dès l’abord son propos, pour en circonscrire les limites, il n’a eu garde de donner à l’Apprenti sorcier le titre de « poème symphonique » : il s’est borné à celui de « scherzo ».

La Procession nocturne d’Henri Rabaud reprend, au contraire, sous ce titre de « poème symphonique », une scène déjà traitée par Liszt dans un de ses deux « épisodes », d’après le Faust de Lenau[1]. D’où vient cette différence de titre, « épisode » et « poème symphonique », entre deux ouvrages où la nature du sujet a dicté un plan analogue : solitude mélancolique de Faust, passage et chant du pieux cortège, poignante amertume de Faust, dans cette nostalgie d’une foi naïve que lui inspirent la vue et le cantique des pèlerins ? Peut-être y a-t-il là un peu plus qu’une vaine question de terminologie. Liszt emprunte à la liturgie romaine, pour le cantique, le texte littéral du Pange lingua. Cette application exacte donne à la scène musicale un caractère documentaire qui ne la prive, certes, ni de poésie ni d’émotion, mais de cette

  1. Voir plus haut, p. 43. — Je tiens de lui-même — et n’ai aucune raison d’en faire mystère — qu’Henri Rabaud, quand il écrivit la Procession nocturne, ignorait celle de Liszt, aujourd’hui encore à peu près inconnue en France.