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Page:Chantavoine - Le Poème symphonique, 1950.djvu/91

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défaut. Mais ce hasard — tout hasard n’enferme-t-il pas une leçon secrète ? — d’une rencontre d’objet entre le film à sa naissance et la musique descriptive à son apogée de puissance, d’ambition et d’audace, nous a toujours donné aussi à penser que l’écran réalise peut-être (rappelons-nous le rêve de Weber pour l’ouverture d’Euryanthe[1]) une portion de ce « programme » longtemps poursuivi par la musique, et en particulier par tant de pages symphoniques. L’association contractuelle de l’image mouvante avec une musique appropriée n’a peut-être pas donné jusqu’ici tous les fruits qu’on en pouvait attendre. Dans bien des cas, il semble que cette musique insufflerait à cette image toute superficielle la vie interne qui y manque. En revanche, fixant la musique dans les tâtonnements de ses recherches descriptives, elle la « relèverait » en partie de ce service secondaire et aventureux, la libérerait de cette servitude un peu mesquine qu’elle s’impose quelquefois avec un excès de minutie ou d’ambition, la rendrait tout entière à sa sœur, la poésie[2].

Je ne me hasarde pas à prédire ou même à prévoir qu’il en sera ainsi. La prophétie est quelquefois possible en matière de science, mais non en fait d’art. L’homme le plus intelligent qui ait jamais vécu, Aristote, a de la sorte annoncé que l’esclavage pourrait disparaître quand la navette marcherait toute seule. Les « anticipations » de Jules Verne, du colonel Driant et de H. G. Wells ont devancé — à moins long terme — la navigation sous-marine et aérienne, avec tout ce qui s’est ensuivi : personne, avant Wagner ou Debussy, n’aurait seulement imaginé ce que seraient un jour les Maîtres Chanteurs ou Pelléas (que je ne mets pas — tranquillisons les mânes de M. Croche ! — sur le même rang…). Avide seulement de l’immédiat et du concret, notre époque a

  1. Une projection de « lanterne magique ».
  2. Une œuvre comme le Livre de la Jungle de Charles Kœchlin, avec ses essais subtils, ingénieux, hardis pour peindre, comme ferait un Breughel explorateur, le grouillement d’une faune multiforme dans les rets des lianes tropicales, serait moins animée peut-être par un film documentaire, qu’elle-même ne l’illustrerait, ne l’animerait, ne le mettrait en valeur.