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Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/103

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Il parlait avec volubilité, multipliant les mots comme des maillons d’une chaîne entre eux ; il voulait s’empêcher de penser et l’empêcher, elle de répondre trop tôt. Une maladresse pouvait tout compromettre. Et il voulait faire durer le plus longtemps possible ce risque qu’il avait pris, sans préméditation, et qui n’avait pas encore eu de conséquences désastreuses, puisque la jeune femme continuait de l’écouter, mais qui avait à jamais transmué leurs relations. Ils ne pouvaient plus maintenant, revenir en arrière ; ils ne pouvaient plus se revoir comme la veille. Par la vertu de quelques mots, ils allaient devenir, ils étaient devenus des étrangers ou des amants. D’ailleurs, ne s’étaient-ils pas illusionnés jusque là ? Un homme de cinquante ans ne fréquente pas une jeune femme, belle, saine et qui se dit libre : il en fait sa maîtresse ou il s’arrange pour ne plus la revoir. Il ne voulait ni l’un, ni l’autre.

— Ne me laisserez-vous pas parler ? dit-elle, mutine. Ne voulez-vous pas entendre ma réponse ?

Ils étaient assis côte à côte et avant de continuer la jeune femme blottit sa tête dans le creux de l’épaule de l’écrivain.