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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/110

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

corps humain, nous n’y voyons aucune symétrie, aucun arrangement autre que celui qui est nécessaire au jeu des organes. Le cerveau, il est vrai, présente deux lobes parfaitement égaux et symétriques, parce que le cerveau est l’organe destiné à la vie de relation, à la vie de l’esprit. Mais dans les fonctions individuelles, la vie intérieure offre un aspect tout autre. L’estomac est une poche informe ; le cœur est un muscle impair qui n’est point placé au centre ; le poumon gauche est plus long et moins large que le poumon droit ; le foie présente des lobes inégaux ; la rate est un ganglion placé vers la gauche et qui n’a pas son pendant ; mais toute cette organisation, que la science trouve si merveilleuse dans son irrégularité, est cachée sous un revêtement d’organes similaires, se répétant, se correspondant à égale distance d’une ligne médiane, et formant chez les animaux la symétrie, chez l’homme la beauté. Semblables en cela au corps humain, les monuments de l’architecture ont aussi une vie double et un double aspect.

À l’extérieur, pour répondre à cette politesse dont parle si bien l’architecte anglais que nous avons cité, ils doivent être réguliers, symétriques, mais symétriques de gauche à droite, à l’instar de l’homme, et non pas de bas en haut, ni de la face antérieure à la face postérieure. Leur vie de relation se manifestera par des ouvertures qui seront comme les yeux et les oreilles de l’être qui les habite ; leur entrée occupera le centre de l’édifice comme la bouche est placée sur la ligne centrale du visage ; ils affecteront des formes angulaires ou arrondies, suivant qu’ils auront été bâtis pour manifester une idée virile, la force, ou une idée féminine, la grâce ; ils auront enfin une proportion, puisqu’il existera entre tous leurs membres apparents ce rapport harmonieux, cette mutuelle dépendance, qui ramènent la variété des parties à l’unité de l’ensemble, qui sont la première condition du beau dans tous les arts.

À l’intérieur, au contraire, l’édifice n’est point assujetti à la répétition identique des membres, ni aux régularités île la façade, ni à l’unité d’aspect. Aussi, quand l’architecte, en nous dessinant la coupe d’un monument, nous en fait, pour ainsi dire, l’autopsie, nous y voyons comme dans le corps humain des dimensions inégales, des formes irrégulières, des disparités qui sont pour notre œil un désordre, mais qui constituent l’individualité, la liberté de l’édifice. Toutefois il est des monuments dans lesquels la vie de relation est intérieure, et ceux-là veulent la symétrie même au dedans. Une salle de spectacle, un cirque, une chambre où le parlement délibère, sont soumis aux lois de la régularité géométrique au dedans comme au dehors. Et cette double symétrie dont aurait pu se passer le temple antique, où la foule ne pénétrait point, elle est nécessaire à l’église chrétienne, parce que tous les fidèles s’y rassemblent, parce que c’est dans l’église que se manifeste la vie animée, à la lueur des flambeaux qui en sont comme l’image, parce qu’enfin la pensée de