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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/112

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

représentent qu’eux-mêmes. Cependant, parmi la foule, quelques hommes se distinguent par une richesse de vitalité qui, à la faveur des événements de leur vie, s’est développée dans le sens de leur naturel : ceux-là personnifient beaucoup d’individus à la fois ; leur unité équivaut à un nombre, ils ont en bien ou en mal un caractère : on les nomme le juste, le brave, ou bien le misanthrope, le glorieux, l’avare. Quelquefois il arrive que leur nom propre devient un nom générique, de sorte que tout hypocrite est un Tartufe de par le génie de Molière, comme, depuis Homère, tout brave est un Achille. Que si un homme porte en lui, non pas la physionomie d’un vice, mais les marques éclatantes d’une vertu, il s’approche de la beauté. Celui, par exemple, en qui seraient rassemblés tous les traits de la force courageuse, bienfaisante et tutélaire, aurait un caractère héroïque, une des faces de la beauté : il s’appellerait Thésée ou Hercule. Celui qui réunirait en lui tous les signes de la plus haute majesté, la sérénité dans la puissance, le calme dans la volonté irrésistible, une douceur imposante, une grandeur redoutable, celui-là serait divinement beau : il s’appellerait Jupiter. Ainsi, à mesure que l’individualité s’enrichit et se prononce, elle s’élève au caractère ; à mesure que le caractère perd de sa rudesse, il s’élève à la beauté. Il en est de même pour les édifices.

Notre esprit est ainsi fait qu’il aime à concevoir dans un seul moment beaucoup de pensées, et il ne peut le faire qu’on les réduisant toutes à une seule, en ramenant la variété à l’unité. Vous passez, je suppose, devant une maison vulgaire ; cette maison, si tant est que vous la regardiez, ne vous représente que l’habitation d’un homme inconnu que vous ne désirez pas connaître ; elle ne s’adresse ni à votre esprit ni même à vos regards ; elle n’éveille en vous aucune pensée. Plus loin, vous êtes arrêté par une construction dont l’aspect est modeste ou pompeux, plaisant ou sévère, mais étrange, mais frappant ; votre esprit se porte sur un des côtés de la physionomie humaine, ou du moins vous éprouvez un sentiment conforme à l’aspect de l’édifice, parce qu’il s’y trouve un premier élément du beau : l’originalité. Si maintenant c’est un monument public qui appelle votre attention, tel qu’un théâtre, une prison, un temple, chacun de ces ouvrages suscite en vous tout un groupe de pensées qui se réduisent à une seule ou qui ne produisent qu’une seule impression. Sous les murs d’une prison, le crime, le jugement, la punition, le remords, la douleur, toutes ces idées se présentent à la fois et se résolvent en un sentiment de crainte ou de malaise : le cœur se resserre. Devant le péristyle élégant d’un théâtre, tout vous parle de plaisir et de la variété dans le plaisir, tout vous annonce ou vous procure le sentiment du bien-être : le cœur se dilate. Sous les voûtes d’une église, le croyant est envahi par une multitude de pensées : la destinée de l’homme, sa