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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/122

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

aux vents et au feu, plus fermes que des murs de moellons ? L’Espagne voit encore aujourd’hui avec étonnement les guérites et les tours de terre qu’Annibal fit construire sur le sommet des montagnes. »

En mêlant, en noyant dans un mortier de chaux et de sable de menus éclats de pierre et des cailloux qui ne dépassent pas en volume la grosseur d’un œuf, l’industrie humaine se crée de très grandes pierres artificielles qui durcissent à l’air et encore mieux au fond de l’eau : elle forme ainsi des blocs énormes, pouvant cuber jusqu’à cinquante mètres, car il en est entré de cette grandeur dans la construction du môle d’Alger. Ces matériaux, appelés bétons, permettent à l’ingénieur de rivaliser avec la nature, et d’employer à la surface du sol des monolithes plus effrayants que ceux de l’Égypte. Nous avons vu naguère à Paris le pont de l’Archevêché reconstruit en béton, c’est-à-dire coulé d’un seul jet, moulé en un seul bloc, sur lequel on a simulé des pierres de tailles sans doute pour satisfaire les regards et les rassurer[1].

Par l’action du feu, l’homme transforme l’argile, et produit à l’usage de l’architecture des tuiles et des briques cuites, après leur avoir imprimé la forme qu’il juge la plus convenable à ses desseins. En faisant liquéfier par la chaleur un mélange d’asphalte et de sable qui durcit au contact de l’air et de la lumière, il compose un bitume propre au pavement ou à la couverture des édifices et des terrasses, et qui a été connu en Orient de toute antiquité. C’est aussi en traitant par le feu la terre et les matières vitrifiables, qu’il fabrique au profit de l’architecte des briques et des tuiles vernissées ou émaillées, des carreaux de faïence, et ces belles dalles de porcelaine dont les Chinois ont construit ou du moins revêtu leurs tours.

Il est enfin un autre genre de matériaux qui fut souvent mis en œuvre par les Romains : ce sont les ciments. Non content de s’en servir pour liaisonner les pierres et les briques de leurs édifices, les Romains ont fait du ciment un élément de construction. Ils l’ont combiné parfois avec la brique en quantités égales, ainsi que nous le voyons à Paris dans les restes imposants des Thermes de Julien. Les couches de ciment alternant avec les briques dans la même mesure d’épaisseur, la liaison devient à son tour un principe de résistance, de sorte que, par la force de cette cohésion décuplée, le monument finit par être d’une seule pierre.

Il est presque inutile de dire que la variété des matériaux naturels ou artificiels dont l’architecture dispose influe sur la variété d’aspect

  1. Tous les habitants de Paris et tous les voyageurs qui y sont venus connaissent la grande arche construite en béton par les frères Coignet, à Saint-Denis, et formant un pont d’une seule pierre.