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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/41

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DE LA FIGURE HUMAINE.


et le modeste duvet de l’oiseau qui semble préluder à la mélodie humaine, quand il ébauche des accents de poésie dans le silence de la nuit ! Et maintenant, quelle immense dégradation de couleurs entre les oiseaux et les mammifères, entre le magnifique plumage du faisan de la Chine ou des aras, et le pelage presque monotone du chien ou la robe presque uniforme du cheval ! Ainsi, à mesure que le principe de vie grandit et se développe, la couleur s’atténue, s’apaise, se simplifie ; le dessin, au contraire, se développe et se perfectionne. Enfin, quand l’homme arrive, et avec lui l’intelligence, c’est le dessin qui triomphe, et la couleur, qui était passée de la violence à l’harmonie, passe de l’harmonie à l’unité, ou du moins tend à se fondre dans l’unité. La chevelure, les sourcils, les cils de la paupière et la barbe, étant plutôt des effets de clair-obscur que des oppositions de couleur, il est évident que le corps humain est l’œuvre d’un dessinateur suprême, et non celle d’un coloriste. Voilà pourquoi certains peintres le représentent comme une figure monochrome, c’est-à-dire d’un seul ton.

L’homme, avons-nous dit, est un résumé de toutes les créations antérieures. La science moderne nous enseigne que l’embryon humain passe, dans le cours de son développement, par la forme des animaux inférieurs. C’est là ce qui explique, selon toute apparence, les ressemblances animales de certains visages. Quand le principe humain n’a pas suffisamment primé tous les autres en les effaçant, l’image des races inférieures reparaît plus ou moins sensible, et nous retrouvons alors, dans nos semblables, tantôt la tête du lion, tantôt la physionomie du renard, tantôt l’expression du tigre ou le caractère du vautour. Mais ces accidents individuels n’empêchent pas que l’humanité ne domine absolument toutes les races, et que l’homme ne soit l’intelligent abrégé du monde, dont il réunit tous les traits. Son squelette est l’image de ces rochers qui sont les ossements de la terre. Sa charpente osseuse est reliée par des nerfs, qui sont soumis à l’action de l’électricité comme les métaux ; elle est revêtue de muscles qui, par leurs saillies et leurs dépressions, rappellent les montagnes et les vallées, et tout son corps est arrosé par des ruisseaux de pourpre qui transpirent à travers la peau, comme les fleuves transpirent à travers la surface du globe. Enfin la chevelure qui ombrage l’organe de sa pensée est, suivant l’expression poétique de Herder, un emblème des bois sacrés où l’on célébrait jadis les mystères. L’homme, considéré dans sa vie organique, est donc un abrégé de l’univers. Il renferme dans ses entrailles toute la nature, mais cachée sous un appareil de beauté, c’est-à-dire enveloppée des organes de cette vie animale qui, chez lui, signifie proprement la vie de l’âme, animus. À l’intérieur, le corps humain est diapré, comme la nature, de mille couleurs, ainsi que l’annoncent déjà le vermillon de ses lèvres, l’ivoire de ses dents, les tons bleu, brun, jaune et orangé de sa prunelle ; mais, au dehors, sa peau ne présente guère qu’une teinte, dont les nuances