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Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/72

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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

La sculpture sera donc chez les Grecs l’art par excellence, l’art dominant, comme l’architecture avait été par excellence l’art des Orientaux.

Cependant un autre art se sépare du berceau commun, c’est la peinture ; elle s’affranchit la dernière. Soumise dès l’origine à la coloration des surfaces et des reliefs, elle adhère aux voûtes, aux murailles et aux saillies de l’ornementation. Tant que la religion est mythologique, la peinture est un art secondaire ; elle est subordonnée à la sculpture, comme celle-ci l’était dans le principe à l’architecture. Pourquoi ? parce que l’art statuaire, l’art dominant, voulant diviniser l’homme, l’a isolé de la nature, l’a représenté nu, en écartant de son image toutes les circonstances passagères de la vie terrestre et du monde environnant, et qu’ainsi il a pu, il a dû se passer de la couleur, puisque l’homme nu est un être presque monochrome, c’est-à-dire d’un seul ton. Il est donc clair que, sous l’empire de la religion mythologique qui donnait à toute chose la forme humaine, qui sous cette forme se figurait non seulement Dieu, mais la nature entière, les fleuves, les montagnes, les prairies, les champs et les bois, la peinture devait jouer un rôle secondaire, puisqu’elle n’avait pas à représenter toute cette création antérieure à l’homme, dont la vraie parure est dans l’écrin des couleurs. Là où le printemps et les fleurs n’étaient qu’une jeune fille qui s’appelait Chloris, là où la prairie n’était qu’une nymphe étendue, et où l’écorce du laurier-rose ne cachait qu’à demi le corps de Daphné, comment le peintre aurait-il pu faire autre chose qu’un bas-relief de figures humaines, varié de simples nuances ?

Vint enfin le christianisme, qui à la beauté physique substitua la beauté morale et préféra hautement l’expression de l’âme à la perfection du corps. Tout homme fut grand à ses yeux, non par ses membres périssables, mais par son âme immortelle. Avec une telle religion commence le règne de la peinture, qui est un art plus subtil, plus immatériel que les autres, plus expressif et aussi plus individuel. En voici les preuves :

Au lieu d’agir, comme l’architecture et la statuaire, sur les trois dimensions de la matière pesante, la peinture n’agit que sur une surface, et elle produit ses effets avec une chose impondérable qui est la couleur, c’est-à-dire la lumière. Hégel a dit avec une sagacité admirable : « Dans la sculpture et l’architecture, les formes sont rendues visibles par la lumière extérieure. Dans la peinture, au contraire, la matière, obscure par elle-même, a en soi son élément interne, son idéal : la lumière ; elle tire d’elle-même sa clarté et son obscurité. Or l’unité, la combinaison du clair et de l’obscur, c’est la couleur. » Le peintre se propose donc de représenter, non pas les corps avec leur épaisseur réelle, mais simplement leur apparence, leur image, et par cela même c’est à l’esprit qu’il