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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/111

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sanne dès ce soir. Je dirai qu’un de mes amis me prie de venir tenir sa place au régiment. Il me serait impossible de vivre ici si je ne pouvais venir chez vous, ou d’y venir si j’y étais reçu comme vous devez trouver que je le mérite. Je ne répondais pas. Cécile m’a demandé la permission de répondre. J’ai dit que je souscrivais d’avance à tout ce qu’elle dirait. — Je vous pardonne, monsieur, a-t-elle dit, et je prie ma mère de vous pardonner. Au fond, c’est ma faute. J’aurais dû être plus circonspecte, vous donner mon mouchoir et ne le pas tenir, détacher mon tablier après en avoir enveloppé votre main. Je ne savais pas la conséquence de tout cela ; me voici éclairée pour le reste de ma vie. Mais, puisque vous m’avez fait un aveu, je vous en ferai un aussi qui vous sera utile peut-être, et qui vous fera comprendre pourquoi je ne crains pas de continuer à vous voir. J’ai aussi de la préférence pour quelqu’un. — Quoi ! S’écria-t-il, vous aimez ! Cécile ne répondit pas. De ma vie je n’ai été aussi émue. Je le croyais ; mais le savoir ! Savoir qu’elle aime assez pour le dire et de cette manière ! Pour sentir que c’est un préservatif, que les autres hommes ne sont point à craindre pour elle ! M de ***, sur qui je jetai les yeux, me fit pitié dans ce moment, et je lui pardonnai tout. — L’homme que vous aimez, mademoiselle, lui dit-il d’une voix altérée, sait-il son bonheur ? — Je me flatte qu’il n’a pas deviné mes sentiments, répondit Cécile avec le son de voix le plus doux et une expression dans l’accent la plus modeste qu’elle ait jamais eue. — Mais comment cela est-il possible ? dit-il ; car, vous aimant, il doit étudier vos moindres paroles, vos moindres actions ; et alors ne doit-il pas démêler… — Je ne sais pas s’il m’aime, interrompit Cécile, il ne me l’a pas dit, et il me semble que je le verrais par la raison que vous me dites. — Je voudrais savoir, reprit-il, quel est cet homme assez heureux pour vous plaire, assez aveugle pour l’ignorer. — Et pourquoi