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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/16

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NOTICE.

proches qu’on se fait à soi-même ne doivent-ils pas être douloureux ! Ne vaudrait-il pas mieux faire tout par devoir, par raison, par charité, et rien par sentiment ? Je vois un homme malade, je le soulage autant qu’il m’est possible. S’il meurt, quel qu’il soit, cela me touche peu. Je vois un autre homme qui commet des fautes : je le reprends, je lui donne les conseils les plus conformes à la raison ; s’il ne les suit pas, tant pis pour lui. Je crois qu’il serait heureux d’aimer tout le monde comme notre prochain, et de n’avoir aucun attachement particulier ; mais je doute fort que cela fût possible. Dieu a mis dans notre cœur un penchant naturel à l’amitié qu’il nous serait, je crois, difficile ou même impossible de vaincre. Une bonté générale ne serait pas capable peut-être de nous faire avoir assez de soin de ceux qui nous environnent, et Dieu a voulu que nous les aimassions, afin que nous pussions trouver un plaisir réel à leur faire du bien, même lorsqu’ils ne sont pas assez malheureux pour exciter notre compassion. Pensez-y un moment, mon cher frère, et vous me direz si vous trouvez autant d’avantage à pouvoir verser notre cœur dans le sein d’un ami, à lui découvrir nos fautes et nos alarmes, à recevoir ses avis et ses consolations, qu’il y a d’amertume à pleurer sa mort ou à compatir à ses souffrances. »

Et en post-scriptum ajouté après la mort de son frère ; « Il m’a fait éprouver celle de ce premier chagrin. »


Mademoiselle de Zuylen lisait et parlait l’anglais, et possédait cette littérature. Elle fit le voyage d’Angleterre dans l’automne de 1766, y resta jusqu’au printemps de 1767, y vit le grand monde, toutes les ambassadrices et la nobility. Son champ d’observation s’y varia. Le dix-huitième siècle de cette société anglaise se peint à ravir dans ses lettres, comme il se reflétera ensuite dans ses romans :