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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/288

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vous que, quand même je ne serais point susceptible d’amitié, quand ce serait sans reconnaissance et sans tendresse que je pense à notre séjour de deux mois ensemble, à cette espèce de sympathie qui nous unissait, à l’intérêt que vous preniez à moi malade, maussade, abandonné, exilé, persécuté, je sois assez bête pour ne pas regretter cette intelligence mutuelle de nos pensées qui circulait, pour ainsi dire, de vous à moi et de moi à vous ? Est-ce un air, est-ce un ton, est-ce pour me dire quelque chose ? Je suis porté à le croire. Entre beaucoup d’amis, les reproches et les doutes reviennent à mes : Eh bien ! madame ? c’est pour relever la conversation qui tombe. Mais en avons-nous besoin ? Croyez, madame, que rien ne me fera moins regretter ni moins désirer votre amitié et notre réunion (voilà une sotte et singulière phrase ; mais vous la comprenez, et je vous demande pardon du croyez, madame, et de l’équivoque). Rien ne me fera oublier combien j’ai été heureux près de vous ; je ne formerai jamais d’habitude qui vous rende moins chère, et jamais occupation quelconque ne me tiendra lieu de vous. C’est pour la dernière fois que je l’écris, parce que me justifier m’afflige. J’ai un grand plaisir à vous dire : Je vous aime, mais j’ai encore plus de peine à imaginer que vous en doutez. Désormais toutes les pages où vous vous livrerez à cette défiance et à cette modestie d’acquit, je les regarderai comme blanches, et je me dirai : Madame de Charrière m’aime encore assez pour me faire savoir qu’elle ne m’a pas oublié entièrement, et pour cela elle a proprement plié une feuille de papier blanc et l’a cachetée du petit Persée ; je lui en suis bien obligé, mais je suis bien fâché qu’elle n’ait rien eu à m’écrire, et que du papier blanc soit la marque de souvenir qu’elle ait cru devoir m’envoyer.