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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/35

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NOTICE.

à madame de Charrière des qualités supérieures à celles d’un talent simplement aimable, une veine franche, et, comme l’a très bien dit un critique d’alors, une sorte de courage d’esprit[1]. — La pauvre tailleuse Juliane, que nous avons un peu négligée, que Meyer a négligée aussi, ne l’a pourtant pas été assez tôt pour ne point s’en ressentir. 11 n’a pas eu à lui tendre de piège ; l’innocente est venue comme d’elle-même, mais telle elle ne s’en est point retournée. Juliane va être mère : elle se l’avoue avec effroi ; autour d’elle, on peut s en apercevoir à chaque heure. Que devenir ? Un jour, travaillant chez mademoiselle de La Prise, qui a eu des bontés pour elle, et qui, la voyant pâle, triste et tremblante, l’a pressée de questions affectueuses, ce soir-là, avant de sortir, les sanglots éclatent : elle lui confesse tout ! Meyer, qui a rompu depuis des mois avec la pauvre enfant, ne sait rien. C’est mademoiselle de La Prise qui va le lui apprendre. Le lendemain, au bal, à l’assemblée, pâle elle-même, plus grave et avec un je ne sais quoi de solennel, elle arrive. Meyer en est frappé ; il pâlit aussi sans savoir ; il lui demande pourtant de danser. Mais il s’agit bien de

  1. Dans le Nouveau Journal de Littérature, Lausanne, 16 juin 1784, le ministre Chaillet prit en main la défense des Lettres Neuchâteloises contre ses compatriotes, dans un spirituel article, et pas du tout béotien, je vous assure. Il y disait : « Ce n’est qu’une bagatelle, assurément, mais c’est une très jolie bagatelle ; mais il y a de la facilité, de la rapidité dans le style, des choses qui font tableau, des observations justes, des idées qui restent ; mais il y a dans les caractères cet heureux mélange de faiblesse et d’honnêteté, de bonté et de fougue, d’écarts et de générosité, qui les rend à la fois attachants et vrais ; il y a une sorte de courage d’esprit dans tout ce qu’ils font, qui les fait ressortir, et je soutiens qu’avec une âme commune on ne les eût point inventés ; mais il y a une très grande vérité de sentiments : toutes les fois qu’un mot de sentiment est là, c’est sans effort, sans apprêt ; c’est ce débordement si rare qui fait sentir qu’il ne vient que de la plénitude du cœur, dont il sort et coule avec facilité, sans avoir rien de recherché, de contraint, d’affecté ni d’enflé… »