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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/38

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NOTICE.

encore. On m’ordonna de rester, pour ne donner aucun soupçon, de danser même, si je le pouvais. Je donnai ma bourse au comte, et je les vis partir. Ainsi finit cette étrange soirée. »


Les dernières lettres, qui suivent cette scène, descendent doucement sans déchoir. Mademoiselle de La Prise, depuis ce moment, a quelque chose de changé dans ses manières ; toujours aussi naturelle, mais moins gaie, et, aux yeux de Meyer, plus imposante. Une lettre d’elle, à son amie Eugénie, achève de nous ouvrir son cœur. Elle aime ; la crise passée, elle est heureuse ; elle s’est convaincue de la sincérité, de la loyauté de l’amant : elle n’a pas eu à pardonner. Un peu de fleur est tombé sans doute, mais le parfum y gagne plus profond. « Nous étions certainement nés l’un pour l’autre, dit-elle, non pas peut-être pour vivre ensemble, c’est ce que je ne puis savoir, mais pour nous aimer… Adieu, chère Eugénie, je ne te le céderais plus. » Une maladie de son ami Godefroy force Meyer de partir pour Strasbourg inopinément : il n’a que le temps d’écrire son départ à mademoiselle de La Prise, avec l’aveu de son amour ; car jusque là il n’y a pas eu d’aveu en paroles, et cette lettre est la première qu’il ose adresser. Il la confie au loyal Max, qui court dans une soirée où doit être mademoiselle de La Prise ; Max la lui remet, sans affectation et à haute voix, comme d’un ami : elle prend une carte, et, tout en y dessinant quelque fleur, elle a répondu au crayon deux mots discrets, mais certains, qui laissent à l’heureux Meyer et à son avenir toute espérance.

C’est là une véritable fin, la seule convenable. Pousser au-delà, c’eût été gâter ; en venir au mariage, s’il eut lieu, c’eût été trop réel. Au contraire, on ne sait pas bien ; l’œil est encore humide, on a tourné la dernière page, et l’on rêve. Les Lettres Neuchâteloises n’eurent pas de suite et n’en devaient pas avoir.