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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/84

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à lui qu’ils sont dus. On commençait à les faire jouer ensemble partout où ils se rencontraient : je n’ai plus voulu qu’elle jouât. J’ai dit qu’une fille qui joue aussi mal que la mienne a tort de jouer, et que je serais bien fâchée que de sitôt elle apprît à jouer bien. Là-dessus le jeune Anglais a fait faire le plus petit damier et les plus petites dames possibles, et les porte toujours dans sa poche. Le moyen d’empêcher ces enfants de jouer ! Quand les dames ennuieront Cécile, il aura, dit-il, de petits échecs. Il ne voit pas combien il est peu à craindre qu’elle s’ennuie. On parle tant des illusions de l’amour-propre ; cependant il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu’on croie l’être autant qu’on l’est. Un enfant ne voit pas combien il occupe continuellement sa mère. Un amant ne voit pas que sa maîtresse ne voit et n’entend partout que lui. Une maîtresse ne voit pas qu’elle ne dit pas un mot, qu’elle ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le savait, combien on s’observerait, par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien estimable et incompensable d’être tendrement aimé !

Le gouverneur du jeune lord, ou celui que j’ai appelé son gouverneur, est son parent d’une branche aînée, mais non titrée. Voilà ce que m’a dit le jeune homme. L’autre n’a pas beaucoup d’années de plus, et il y a dans sa physionomie, dans tout son extérieur, je ne sais quel charme que je n’ai vu qu’à lui. Il ne se moquerait pas, comme votre ami, de mes idées sur la noblesse. Peut-être les trouverait-il triviales, mais il ne les trouverait pas obscures. L’autre jour il disait : Un roi n’est pas toujours un gentilhomme ; enfin, chimériques ou non, mes idées existent dans d’autres imaginations que la mienne.

Mon dieu, que je suis occupée de ce qui se passe ici, et embarrassée de la conduite que je dois tenir ! Le parent de milord (je l’appelle Milord par excellence, quoiqu’il y