Aller au contenu

Page:Chassiron notes japon chine inde.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

14 octobre.

Nous avons eu un triste réveil : un homme a été jeté à la mer par un coup de roulis ; on l’a entendu crier quand déjà il était à l’arrière du navire, qui filait dix nœuds, grande vitesse ; il était bien difficile de stopper ; nous marchions sous vapeur et sous voiles et la mer était des plus grosses ; encore un homme de perdu ! Il avait vingt et un ans et était l’un des meilleurs matelots du bord ; je venais de lui parler quelques moments avant sa chute, et il me causait gaiement Bretagne ; c’était un de mes pays. Cette mort si imprévue m’a fait du mal ; en pareil cas, d’ordinaire, un matelot laisse peu de regrets sur son navire ; on parle un instant de sa mort comme d’une chose malheureuse, mais à prévoir ; sur le nôtre j’ai entendu appuyer surtout sur ce que l’Amour, c’était son nom, était un très-bon matelot et qu’à bord ils sont rares ; ç’a été toute son oraison funèbre. Quelque durifiée que devienne à la longue ma sensibilité nerveuse devant certains faits, j’avoue que je ne saurai jamais me faire à de pareilles mœurs et à de pareilles façons de sentir ; ce qui du reste double aussi à mes yeux les mérites et les sacrifices de la vie de mer.