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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/109

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fesseur ; le charme des dernières faiblesses humaines et la douceur des premiers sentiments religieux se prolongent en souvenirs dans le cœur du vieux monarque.

Successivement arrivèrent M. de Blacas, M. A. de Damas[1], frère du baron, M. O’Hégerty père, M. et madame de Cossé. À six heures précises, le roi parut,

    de la duchesse de Polignac, elle fut présentée par celle-ci à la cour, le 3 décembre 1780, et, en 1782, elle fut nommée dame du palais (surnuméraire). Elle émigra en 1789, aussitôt après la prise de la Bastille et en même temps que les Polignac, qu’elle rejoignit à Berne. Sa liaison avec le comte d’Artois, commencée à Versailles, se continua sur la terre étrangère. La comtesse de Polastron mourut à Londres (Brompton grove) le 27 mars 1804. « Une maladie de langueur, dit Lamartine, (Histoire de la Restauration, t. II, p. 81), aggravée par le climat brumeux de l’Angleterre, atteignit madame de Polastron. Elle vit lentement venir la mort dans toute la fraîcheur de ses charmes et dans tous les délices d’une passion partagée. La religion la consola comme elle avait consolé La Vallière. Elle voulut en faire partager les consolations et les immortalités à son amant. Il se convertit à la voix de ce même amour qui l’avait si souvent et si délicieusement égaré des pensées graves. Un de ses aumôniers, qui fut depuis le cardinal de Latil, reçut, dans la chambre même de la beauté repentie, les aveux et les remords des deux amants. « Jurez-moi, dit madame de Polastron au jeune prince, que je serai votre dernière faute et votre dernier amour sur la terre, et qu’après moi vous n’aimerez plus que le seul objet dont je ne puisse pas être jalouse, Dieu ». Le prince jura du cœur et des lèvres. Madame de Polastron consolée emporta avec son dernier embrassement son serment au ciel. Le comte d’Artois, à genoux au pied du lit de sa maîtresse, répéta ce serment à son ombre, et il le garda, quoique jeune, beau, prince, roi aimé encore, à travers une longue vie jusqu’au tombeau. — De ce jour, ce fut un autre homme. »

  1. Alfred-Charles François-Gabriel, comte de Damas, né à Munster le 18 décembre 1794, lieutenant-colonel de cavalerie, chevalier de l’ordre de Saint Louis et de la Légion d’honneur, gentilhomme honoraire de la chambre du roi Charles X ; mort, non marié, le 16 janvier 1840.