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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/132

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

très bien… n’en parlons plus. Je n’ai pas voulu garder cela… c’est fini… c’est fini. » Et il s’excusait d’avoir osé hasarder ce peu de mots.

J’ai baisé avec un pieux respect la main royale.

« Que je vous dise, a repris Charles X : j’ai peut-être eu tort de ne pas me défendre à Rambouillet ; j’avais encore de grandes ressources… mais je n’ai pas voulu que le sang coulât pour moi ; je me suis retiré. »

Je n’ai point combattu cette noble excuse ; j’ai répondu :

« Sire, Bonaparte s’est retiré deux fois comme Votre Majesté, afin de ne pas prolonger les maux de la France. » Je mettais ainsi la faiblesse de mon vieux roi à l’abri de la gloire de Napoléon.

Les enfants arrivés, nous nous sommes approchés d’eux. Le roi parla de l’âge de Mademoiselle : « Comment ! petit chiffon, s’écria-t-il, vous avez déjà quatorze ans ! — Oh ! quand j’en aurai quinze ! dit Mademoiselle. — Eh bien ! qu’en ferez-vous ? » dit le roi. Mademoiselle resta court.

Charles X raconta quelque chose : « Je ne m’en souviens pas, dit le duc de Bordeaux. — Je le crois bien, répondit le roi, cela se passait le jour même de votre naissance. — Oh ! répliqua Henri, il y a donc bien longtemps ! » Mademoiselle penchant un peu la tête sur son épaule, levant son visage vers son frère, tandis que ses regards tombaient obliquement sur moi, dit avec une petite mine ironique : « Il y a donc bien longtemps que vous êtes né ? »

Les enfants se retirèrent ; je saluai l’orphelin : je devais partir dans la nuit. Je lui dis adieu en français,