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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/144

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

La France occupée comme elle l’était, nos places fortes ayant garnison étrangère, pouvions-nous résister ? Une fois privés de nos départements militaires, combien de temps aurions-nous gémi sous la conquête ? Eussions-nous eu un souverain d’une famille nouvelle, un prince d’occasion, on ne l’aurait point respecté. Parmi les alliés, les uns cédèrent à l’illusion d’une grande race, les autres crurent que, sous une puissance usée, le royaume perdrait son énergie et cesserait d’être un objet d’inquiétude : Cobbett lui-même en convient dans sa lettre[1]. C’est donc une monstrueuse ingratitude de ne pas voir que, si nous sommes encore de la vieille Gaule, nous le devons au sang que nous avons le plus maudit. Ce sang, qui depuis huit siècles circulait dans les veines mêmes de la

    leurs soins « cette carte du Styx » que Chateaubriand a vue et qui avait été remise par l’empereur Alexandre au duc de Richelieu, comme un témoignage incontestable des concessions obtenues par l’intervention de ce dernier. Sur ce plan, une ligne tracée en bleu indique notre nouvelle frontière ; elle enlève à la France une portion des départements de l’Isère avec le fort Barraux ; de l’Ain avec Belley, Gex et le fort de l’Écluse ; du Jura avec Saint-Claude ; du Doubs avec le fort de Tour, Pontarlier, Saint-Hippolyte et Montbéliard ; tout le Haut-Rhin, tout le Bas-Rhin, toute la Moselle, une partie de la Meuse comprenant Montmédy ; les Ardennes avec Sedan, Mézières et Rocroy ; tout le département du Nord à l’exception de Cambrai et de Douai. — Si ce tracé bleu n’a pas reçu son exécution, si la France n’a pas été effacée de la carte politique de l’Europe, nous le devons au roi Louis XVIII et au duc de Richelieu.

  1. William Cobbett (1766-1835), radical anglais, célèbre par ses pamphlets ; élu en 1832 membre de la Chambre des communes, il appuya chaudement la réforme parlementaire. La lettre à laquelle font ici allusion les Mémoires est une brochure de Cobbett sur la guerre d’Espagne, écrite, à la date du 1er mars 1823, sous forme de Lettre à M. de Chateaubriand. Ce dernier en a publié la traduction au chapitre XLIX du Congrès de Vérone.