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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/146

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Loin de précipiter cette légitimité, mieux avisé on en eût étayé les ruines ; à l’abri dans l’intérieur, on eût élevé le nouvel édifice, comme on bâtit un vaisseau qui doit braver l’Océan sous un bassin couvert taillé dans le roc : ainsi la liberté anglaise s’est formée au sein de la loi normande. Il ne fallait pas répudier le fantôme monarchique ; ce centenaire du moyen âge, comme Dandolo, avoit les yeux en la tête beaux, et si, n’en véoit goutte ; vieillard qui pouvait guider les jeunes croisés et qui, paré de ses cheveux blancs, imprimait encore vigoureusement sur la neige ses pas ineffaçables.

Que, dans nos craintes prolongées, des préjugés et des hontes vaniteuses nous aveuglent, on le conçoit ; mais la distante postérité reconnaîtra que la Restauration a été, historiquement parlant, une des plus heureuses phases de notre cycle révolutionnaire. Les partis dont la chaleur n’est pas éteinte peuvent s’écrier : « Nous fûmes libres sous l’Empire, esclaves sous la monarchie de la charte ! » Les générations futures, ne s’arrêtant pas à cette contre-vérité, risible si elle n’était un sophisme, diront que les Bourbons rappelés prévinrent le démembrement de la France, qu’ils fondèrent parmi nous le gouvernement représentatif, qu’ils firent prospérer les finances, acquittèrent des dettes qu’ils n’avaient pas contractées, et payèrent religieusement jusqu’à la pension de la sœur de Robespierre. Enfin, pour remplacer nos colonies perdues, ils nous laissèrent, en Afrique, une des plus riches provinces de l’empire romain.

Trois choses demeurent acquises à la légitimité restaurée : elle est entrée dans Cadix ; elle a donné à