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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/152

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

naguère gouverneur du château de Saint-Cloud, ci-devant né à Landivisiau dans le rayon de la lune de Landernau, et, tout trapu qu’il est, capitaine de grenadiers autrichiens à Prague, pendant la Révolution. Il venait de visiter son seigneur banni, successeur de saint Clodoald, moine en son temps à Saint-Cloud. Trogoff, après son pèlerinage, s’en retournait en Basse-Bretagne. Il emportait un rossignol de Hongrie et un rossignol de Bohême qui ne laissaient dormir personne dans l’hôtel, tant ils se plaignaient de la cruauté de Térée. Trogoff les bourrait de cœur de bœuf râpé, sans pouvoir venir à bout de leur douleur.

Et mœstis late loca questibus implet[1].

Nous nous embrassâmes comme deux Bretons, Trogoff et moi. Le général, court et carré comme un Celte de la Cornouaille, a de la finesse sous l’apparence de la franchise, et du comique dans la manière de conter. Il plaisait assez à madame la dauphine, et, comme il sait l’allemand, elle se promenait avec lui. Instruite de mon arrivée par madame de Cossé, elle me fit pro-

    peu rude et l’originalité piquante de son esprit. Devenu roi, Charles X le nomma gouverneur de Saint-Cloud. « Tu es le plus pauvre de mes gentilshommes, lui dit le Roi, et tu auras le plus beau château ». Les événements de 1830 le surprirent dans ce poste. L’ordre de la retraite de Saint-Cloud fut pour le général Trogoff un coup de foudre. Lors de la halte à Rambouillet, il fut nommé par interim gouverneur du château ; il eût voulu combattre, mais on ne le lui permit pas. Il suivit le roi jusqu’au vaisseau qui allait l’emporter en Angleterre, et, ce devoir accompli, il se retira au château de Keruzoret, près de Saint-Pol. Il n’en sortait que pour aller voir son vieux maître sur la terre d’exil. Le général Trogoff est mort en 1840.

  1. Virgile, Géorgiques, livre iv, vers 515.