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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/157

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

quelques mots de tendresse. La duchesse de Berry invitait Henri à se rendre digne de la France.

Madame la dauphine me dit : « Ma sœur me rend justice, j’ai bien pris part à ses peines. Elle a dû beaucoup souffrir, beaucoup souffrir. Vous lui direz que j’aurai soin de M. le duc de Bordeaux. Je l’aime bien. Comment l’avez-vous trouvé ? Sa santé est bonne, n’est-ce pas ? Il est fort, quoiqu’un peu nerveux. »

Je passai deux heures en tête-à-tête avec Madame, honneur qu’on a rarement obtenu : elle paraissait contente. Ne m’ayant jamais connu que sur des récits ennemis, elle me croyait sans doute un homme violent, bouffi de mon mérite ; elle me savait gré d’avoir figure humaine et d’être un bon garçon. Elle me dit avec cordialité : « Je vais me promener pour le régime des eaux ; nous dînerons à trois heures, vous viendrez si vous n’avez pas besoin de vous coucher. Je veux vous voir tant que cela ne vous fatiguera pas. »

Je ne sais à quoi je devais mon succès ; mais certainement la glace était rompue, la prévention effacée ; ces regards qui s’étaient attachés, au Temple, sur les yeux de Louis XVI et de Marie-Antoinette, s’étaient reposés avec bienveillance sur un pauvre serviteur.

Toutefois, si j’étais parvenu à mettre la dauphine à l’aise, je me sentais extrêmement contraint : la peur de dépasser certain niveau m’ôtait jusqu’à cette faculté des choses communes que j’avais auprès de Charles X. Soit que je n’eusse pas le secret de tirer de l’âme de Madame ce qui s’y trouve de sublime ; soit que le respect que j’éprouvais fermât le chemin à la communi-