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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/168

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Et pourtant je ne suis pas encore sorti de la vallée de la Tèple.

Pour voir d’un coup d’œil la Vallée de la Tèple, je gravis une colline, à travers un bois de pins : les colonnes perpendiculaires de ces arbres formaient un angle aigu avec le sol incliné ; les uns avaient leurs cimes, les deux tiers, la moitié, le quart de leur tronc où les autres avaient leur pied.

J’aimerai toujours les bois : la flore de Carlsbad, dont le souffle avait brodé les gazons sous mes pas, me paraissait charmante ; je retrouvais la laîche digitée, la belladone vulgaire, la salicaire commune, le millepertuis, le muguet vivace, le saule cendré : doux sujets de mes premières anthologies.

Voilà que ma jeunesse vient suspendre ses réminiscences aux tiges de ces plantes que je reconnais en passant. Vous souvenez-vous de mes études botaniques chez les Siminoles, de mes œnothères, de mes nymphéas dont je parais mes Floridiennes, des guirlandes de clématite dont elles enlaçaient la tortue, de notre sommeil dans l’île au bord du lac, de la pluie de roses du magnolia qui tombait sur nos têtes ? Je n’ose calculer l’âge qu’aurait à présent ma volage fille peinte ; que cueillerais-je aujourd’hui sur son front ? les rides qui sont sur le mien. Elle dort sans doute à l’éternité sous les racines d’une cyprière de l’Alabama ; et moi qui porte en ma mémoire ces souvenirs lointains, ignorés, je vis ! Je suis en Bohême, non pas avec Atala et Céluta, mais auprès de madame la dauphine qui va me donner une lettre pour madame la duchesse de Berry.