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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/177

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

les sommets cendrés de bleu d’Albano, les lignes plus lointaines et moins gravées du Soracte. Le long canal des vieux aqueducs laisse échapper quelques globules de son onde à travers les mousses, les ancolies, les giroflées, et joint les montagnes aux murailles de la ville. Plantés les uns sur les autres, les portiques aériens, en découpant le ciel, promènent dans les airs le torrent des âges et le cours des ruisseaux. Législatrice du monde, Rome, assise sur la pierre de son sépulcre, avec sa robe de siècles, projette le dessin irrégulier de sa grande figure dans la solitude lactée.

Asseyons-nous : ce pin, comme le chevrier des Abruzzes, déploie son ombrelle parmi des ruines. La lune neige sa lumière sur la couronne gothique de la tour du tombeau de Metella et sur les festons de marbre enchaînés aux cornes des bucranes ; pompe élégante qui nous invite à jouir de la vie, sitôt écoulée.

Écoutez ! la nymphe Égérie chante au bord de sa fontaine ; le rossignol se fait entendre dans la vigne de l’hypogée des Scipions ; la brise alanguie de la Syrie nous apporte indolemment la senteur des tubéreuses sauvages. Le palmier de la villa abandonnée se balance à demi noyé dans l’améthyste et l’azur des clartés phébéennes. Mais toi, pâlie par les reflets de la candeur de Diane, ô Cynthie, tu es mille fois plus gracieuse que ce palmier. Les mânes de Délie, de Lalagé, de Lydie, de Lesbie, posés sur des corniches ébréchées, balbutient autour de toi des paroles mystérieuses. Tes regards se croisent avec ceux des étoiles et se mêlent à leurs rayons.

Mais, Cynthie, il n’y a de vrai que le bonheur dont