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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/192

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

comme non avenu. Ces hommes, qui se sont levés pour arracher leur indépendance nationale à l’ambition de Bonaparte, ne rêvent que de lui, tant il a ébranlé l’imagination des peuples, depuis les Bédouins sous leurs tentes jusqu’aux Teutons dans leurs huttes.

À mesure que j’avançais vers la France, les enfants devenaient plus bruyants dans les hameaux, les postillons allaient plus vite, la vie renaissait.

À Bischofsheim, où j’ai dîné, une jolie curieuse s’est présentée à mon grand couvert : une hirondelle, vraie Procné, à la poitrine rougeâtre, s’est venue percher à ma fenêtre ouverte, sur la barre de fer qui soutenait l’enseigne du Soleil d’Or ; puis elle a ramagé le plus doucement du monde, en me regardant d’un air de connaissance et sans montrer la moindre frayeur. Je ne me suis jamais plaint d’être réveillé par la fille de Pandion ; je ne l’ai jamais appelé babillarde, comme Anacréon : j’ai toujours, au contraire, salué son retour de la chanson des enfants de l’île de Rhodes : « Elle vient, elle vient l’hirondelle, ramenant le beau temps et les belles années ! ouvrez, ne dédaignez pas l’hirondelle[1]. »

« François, m’a dit ma convive de Bischofsheim, ma trisaïeule logeait à Combourg, sous les chevrons de la couverture de ta tourelle ; tu lui tenais compagnie chaque année en automne, dans les roseaux de l’étang, quand tu rêvais le soir avec ta sylphide. Elle aborda ton rocher natal le jour même que tu t’embarquais pour l’Amérique, et elle suivit quelque temps ta voile. Ma grand’mère nichait à la fenêtre

  1. Ces lignes sont une traduction du Chélidonisme conservé par Athénée.