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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/206

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Mais après j’ai trouvé un beau jeune soldat à pied avec une jeune fille ; le soldat poussait devant lui la brouette de la jeune fille, et celle-ci portait la pipe et le sabre du troupier. Plus loin une autre jeune fille tenant le manche d’une charrue, et un laboureur âgé piquant les bœufs ; plus loin un vieillard mendiant pour un enfant aveugle ; plus loin, une croix. Dans un hameau, une douzaine de têtes d’enfants, à la fenêtre d’une maison non achevée, ressemblaient à un groupe d’anges dans une gloire. Voici une garçonnette de cinq à six ans, assise sur le seuil de la porte d’une chaumière ; tête nue, cheveux blonds, visage barbouillé, faisant une petite mine à cause d’un vent froid ; ses deux épaules blanches sortant d’une robe déchirée, les bras croisés sur ses genoux haussés et rapprochés de sa poitrine, regardant ce qui se passait autour d’elle avec la curiosité d’un oiseau ; Raphaël l’aurait croquée, moi j’avais envie de la voler à sa mère.

À l’entrée de Forbach, un groupe de chiens savants se présente : les deux plus gros attelés au fourgon des costumes ; cinq ou six autres de différentes queues, museaux, tailles et pelage, suivent le bagage, chacun son morceau de pain à la gueule. Deux graves instructeurs, l’un portant un gros tambour, l’autre ne portant rien, guident la bande. Allez, mes amis, faites le tour de la terre comme moi, afin d’apprendre à connaître les peuples. Vous tenez tout aussi bien votre place dans le monde que moi ; vous valez bien les chiens de mon espèce. Présentez la patte à Diane, à Mirza, à Pax, chapeau sur l’oreille, épée au côté, la queue en trompette entre les deux basques de votre