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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/211

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tice, remémoratif de mon jugement ; ensuite la Préfecture de police, qui me servit de prison. Je suis enfin rentré dans mon hospice, en dévidant ainsi le fil de mes jours. Le fragile insecte des bergeries descend au bout d’une soie vers la terre, où le pied d’une brebis va l’écraser.

Paris, rue d’Enfer, 6 Juin 1833.

En descendant de voiture, et avant de me coucher, j’écrivis une lettre à madame la duchesse de Berry pour lui rendre compte de ma mission. Mon retour avait mis la police en émoi ; le télégraphe l’annonça au préfet de Bordeaux et au commandant de la forteresse de Blaye : on eut ordre de redoubler de surveillance ; il paraît même qu’on fit embarquer Madame avant le jour fixé pour son départ[1]. Ma lettre manqua Son Altesse Royale de quelques heures et lui fut portée en Italie. Si Madame n’eût point fait de déclaration ; si même, après cette déclaration, elle en eût nié les suites ; bien plus, si, arrivée en Sicile, elle eût protesté contre le rôle qu’elle avait été contrainte de jouer pour échapper à ses geôliers, la France et l’Europe auraient cru son dire, tant le gouvernement de Philippe était suspect. Tous les Judas auraient subi la punition du spectacle qu’ils avaient donné au monde dans la tabagie de Blaye. Mais Madame n’avait pas voulu conserver un caractère politique en niant son mariage ; ce qu’on gagne par le mensonge en réputation d’habileté, on le perd en considération ; l’ancienne sincérité que vous avez pu professer vous défend à

  1. L’embarquement de la duchesse de Berry eut lieu le 8 juin 1833.